#0015 - Josef SKVORECKY


SKVORECKY Josef : Le saxophone basse & Autres nouvelles (Bassaxofon), 1967, 78, Gallimard Du Monde Entier 1983, Trad. Claudia Ancelot
Nouvelles extraites de : Bassaxofon, Horkej svet, Prima sezona, Pribeh inzenyra lidskych dusi, Babylónský príbeh. Le saxophone basse, Eve était nue, Une sorcière au mois de mai, Babylone sur Vltava, Rebecca, Déjà du temps des pyramides, La fin de Bull Macha, Du travail pour le service du personnel, Un manuscrit de contrebande. Quelques lignes de chacune des nouvelles pleines de l'amour du jazz que leur insuffle Skvoresky. Les années 45-55 en Tchécoslovaquie.
Le saxophone basse: "En l'an quarante, quand l'invraisemblable devint possible (six cuivres, une grande formation, une basse, des tambours, une guitare, un piano), Syrovatka descendit de sa montagne et nous eûmes donc cinq saxophones, il était assis tout au bout de la rangée blanche avec ses épaules d'armoire à glace dans le veston de toile métis, il ne swinguait pas mais sous les feux son instrument mythique brillait d'une lumière mate et nous jouions tous les quatre au-dessus de lui, dans notre chant il y avait aussi la joie de l'avoir parmi nous, même si, au-dessous de nos accords glissants, il cheminait sur ses propres sentiers de montagne. Mais l'instrument que je venais d'entrevoir était quelque chose de bien plus mystérieux encore: un saxophone basse"
Une sorcière au mois de mai: "Et dans cette vitrine il n'y avait rien de nouveau. Un saxo alto de la marque Toneking qui y séjournait depuis deux mois, une clarinette en ut qui prenait le soleil depuis au moins aussi longtemps. Dans le coin, un euphonium qui, lui, n'avait que quinze jours de présence. Pour le reste, quelques violons, une mandoline, une paire d'harmonicas, un bandonéon violet et des petites boites de colophane et des étuis pour anches de saxophones. C'était toujours une joie de regarder les soupapes nacrées du saxophone, de revoir tous les petits tuyaux de laiton se tortillant dans le ventre d'un gros tuba. C'était une espèce de drogue. Nous étions tout simplement fascinés par les instruments"
La fin de Bull Macha: "Une fantastique bonne humeur s'épanouit dans le cœur de Bull, involontairement son soulier pointu se mit à battre la mesure sur le parquet et son regard, à présent rempli d'une volupté religieuse, était suspendu aux baguettes du vibraphoniste qui se contorsionnait au-dessus de l'instrument. Et la révolte désespérée qui lui avait serré la gorge tout l'après-midi et presque jusqu'au moment où il avait entendu l'orchestre, se transforma en un sentiment de victorieuse certitude: ça continuait, ils n'avaient pas réussi à l'étouffer, c'était toujours le même jazz qu'avant et les mêmes foules qui le dansaient, une musique insolente comme elle l'avait toujours été et que personne n'arriverait jamais à chasser de ce monde, ce monde qui était le seul auquel il appartenait"

#0014 - Paul MORAND


MORAND Paul : New York, 1929, Flammarion / ReEd. Garnier-Flammarion N°498
On avait vraiment de drôles d'idées dans les années 20. On osait même les exprimer et il y avait des éditeurs pour les publier ! Quelques citations concernant la visite de Harlem.
Notes: "Harlem […] Un spectacle complétement exotique: à quelques mètres, en quelques minutes, tous les New Yorkais sont devenus noirs ! Se trouve-t-il dans le métro et lit-il son journal ? Un écriteau attire son attention: Cent-Vingt-Cinquième Rue, il regarde à ses côtés, son wagon s'est changé en un wagon de nègres ! Suspendus aux poignées de cuir par une longue main noire et crochue, mâchant leur gomme, ils font penser aux grands singes du Gabon (sic !) […] Las du Cotton Club, du Sugar Cane, du Second Part Of The Night avec leur décor de plantation, et curieux de spectacles moins monotones […] Nous descendimes alors dans L'African Room du Club Harlem, 338 Lennox Avenue […] Cet endroit, malgré les murmures syncopés de la troupe des Africano's, ressemblait à tous les autres, à Small's, à l'ancien Nest, au Savoy Ball Room, au Capitole […] Harlem, c'est la patrie du jazz, c'est la mélodie nègre du Sud débarquant à la gare de Pennsylvanie, plaintive et languissante, soudain affolée par ce Manhattan adoré, où tout est bruit et lumière, c'est le rêve du Mississipi, devenu cauchemar, entrecoupé de trompes d'autos, de sirènes, comme à travers Wagner on pressent le tumulte des éléments, ce qu'on entend au fond du jazz, c'est la rumeur de Lennox Avenue. Le nègre est heureux à New York"

#0013 - Jacques HIGELIN


HIGELIN Jacques : Lettres d'amour d'un soldat de vingt ans, 1987, Grasset / ReEd. Le Livre de Poche N°6499
Amoureux d'une femme et du jazz…
Notes: "Nous allons essayer avec J. L., de réaliser un concert de jazz. Plusieurs formations allemandes nous ont donné leur accord. On est entré en relations avec le directeur de l'émission Jazz de Baden, qui nous donnera toutes facilités" (p.62) "Un orchestre de jazz allemand, vieux style Dixieland, joué par des jeunes de dix-sept, dix-huit ans (vous savez, à l'hotel des officiers où je vous jouais de l'Erroll Garner) […] J'ai fait du Higelin -sous -Fats Waller -sous Garner -sous Jazz moderne ! […] Le vieux style, c'est toujours très marrant, très sympathique. Ça a une odeur de phonographe à manivelle, terrible ! On était tous très contents de jouer ces vieux trucs: Saint Louis blues, When the saints go marchin' in, Struttin' with some barbecue (Sidney Bechet), Ain't misbehavin', Hey- ba- ba- re- bop (un morceau très swing de Lionel Hampton) […] Après, j'ai chanté le blues. Traditionnel, primitif ou moderne, c'est ce qu'il y a de plus beau dans le jazz. Le blues, c'est la joie, la tristesse de l'homme, ses histoires. C'est l'âme, le soleil noir du jazz. Que ce soit Big Bill Broonzy ou Miles Davis qui l'interprètent, ça reste pour moi ce qu'il y a de plus pur, de plus vital dans cette musique. Un type comme Miles ne recherche pas la virtuosité technique, les effets, il a quelque chose à dire. En l'écoutant, il nous vient une émotion forte, un sentiment d'insécurité. Sa musique souffre, elle a faim. Elle est chaude comme le bonheur et la misère des gens et, un jour, ils comprendront que c'est eux qui la lui ont inspiré" (p.71-72) "Tu as vu la bouille à Wes Montgomery (couverture de Jazz Hot), le guitariste: toute ronde, pleine de naïveté, de drôlerie et de gentillesse. Je ne l'ai jamais entendu, essaie d'écouter un disque de lui pour me dire ce qu'il donne. Il est classé actuellement comme le meilleur quitariste jazz, mais je me fie peu aux référendums. Si ce qu'on rapporte de John Coltrane est vrai, c'est un type très chouette […] Je regardais des photos de lui: belle tête, yeux purs et lucides, très humain, pas facile avec lui-même. Je suis sur que tout comme le mur du son, il y a un mur musical qui demande a être crevé. On dirait que Coltrane s'efforce contre ce mur, qu'il veut faire éclater, par un mouvement de puissance continu et acharné, l'écran musical de la sonorité et de la technique !" (p.88) "On fait du jazz New Orleans maintenant, à la caserne, le soir. J'ai réussi a embarquer cinq copains avec moi. on prend nos instruments et on va jouer dans les couloirs. Tous les vieux thèmes connus" (p.109) "Je vous envoie un disque sans savoir s'il vous plaira […] J'en avais repéré un autre, de Miles Davis, mais il m'est passé sous le nez. Sachez cependant que Bill Evans est l'arrangeur de Miles (l'un des arrangeurs-compositeurs les plus doués du jazz d'avant garde), de plus un excellent pianiste. Vous l'aviez d'ailleurs remarqué dans le disque de Miles, Kind of blues, que nous avions acheté à St Nazaire. C'est un bel exemple d'artiste et d'homme, secret et hypersensible. Il a gardé longtemps des partitions dans ses tiroirs et ne semble guère rechercher le succès ou une célébrité quelconque, seul un travail qui le laisse parfois enfermé, isolé avec son piano durant plusieurs jours, dormant et mangeant à peine. C'est sûrement cette sensibilité et cette conscience sincère et discrète qui lui ont valu le respect et l'amitié d'un M. Davis, d'un Charlie Parker, d'un Thelonious Monk, sans compter les autres vrais. Si vous en avez l'occasion écoutez les Double-Six. C'est le meilleur ensemble vocal de jazz européen. Ce qu'ils font dans leur domaine est très avancé et solidement arrangé" (p.125-126) "Quand je songe qu'il y a des types de vingt et un ans qui donnent déjà des concerts, que Charlie Christian fut un novateur dans le domaine de la guitare de jazz à vingt ans" (p.194) "Je me sens prêt, maintenant, à engager toutes mes forces au service de la musique. C'est une amante tellement généreuse, qui a si peu d'amants sincères et désintéressés, sauf dans le domaine du jazz, où se révèlent les plus purs de ses adorateurs, ceux qui l'aiment et la servent humblement, sans se donner en spectacle: M.Davis, Coltrane, Monk, Parker, Bud Powell, Mingus, Art Tatum et tant d'autres" (p.240).

#0012 - Philippe GARNIER


GARNIER Philippe : Goodis, la vie en noir et blanc, 1984, Seuil
Notes: C'est une biographie et c'est aussi le royaume de la contradiction dans les témoignages sur Goodis et le jazz ! "Goodis n'écoutait pas beaucoup de jazz, surtout du classique. Pas Count Basie, non. Le seul morceau de jazz qu'il connaissait d'après moi c'était How high the moon. Il chantait ça ou jouait ça sur son peigne à longueur de temps, il me rendait cinglé avec ça" (p.69) "Ils étaient très nombreux les disques de Basie. C'étaient les meilleurs, ceux qu'il aimait. Il y avait Every tub, Swinging the blues et Texas shuffle. Il y avait John's idea, Lester leaps in et Out the window. Pour quelqu'un qui soit disant n'aimait pas trop le jazz et chantait seulement How high the moon sous la douche, Goodis ne se défend pas trop mal. Texas shuffle éveillait toujours en lui la vision d'innombrables troupeaux de bœufs galopant dans la plaine immense du Texas" (p76) "Dick Levy se définit lui même comme compositeur et musicien de jazz manqué […] A cette époque, Dick était pianiste au CR Club, un club privé qui dépendait de Palombo's, un night club connu pour sa clientèle soi-disant mafioso sur les bords. Dick, qui a été pendant un temps l'éléve de Willie "The Lion" Smith, n'a pas poursuivi cette carrière de musicien de jazz" (p.127) "Chacun amenait ses disques, David sortait son kazoo, ou ce qui lui servait de kazoo -généralement un peigne et du papier à cigarette, et il jouait sur les disques. C'est peut être pour cette raison qu'il s'intéressait surtout au saxo ténor. Bien sur il adorait Basie, principalement la grande période swing de l'avant guerre et surtout les morceaux up-tempo, tout ce qui balançait fort -ce qu'on appelait le jump à l'époque. C'était la grande époque de l'orchestre de Count Basie, quand Hershel Evans était au ténor avec Lester Young. Evans venait du Texas, il avait un style très solide et ébourrifant qui contrastait avec celui de Lester Young. David préférait nettement Hershel Evans, mais il n'était pas le seul dans ce cas là à l'époque. Basie rencontrait beaucoup de résistance, même parmi ses propres musiciens qui n'aimaient pas la façon de jouer de Lester. Son style était trop neuf, trop différent. David amait aussi énormément Lionel Hampton, surtout quand il jouait en petites formations. Il adorait ce morceau, Shuffling at the Hollywood, avec un solo de Chew Berry. C'était un disque RCA Victor, je me souviens avec Cozy Cole et Clydie Hart. Il y avait aussi Central avenue breakdown, toujours Hampton mais avec une autre formation. Nat Cole au piano sur celui là" (p.128) "Les deux frères Goodis aimaient la musique, ils avaient des tas de disques, jazz et classique" (p.164) "Norman Granz son Jazz At The Philarmonic à l'Academy de Brooklyn, Illinois Jacquet est en tête d'affiche, avec Flip Phillips, Coleman Hawkins, Howard McGhee, Ray Brown et Helen Humes" (p.167) "La boite de Stan Cooper s'appelait le Club Harlem, et tous les grands du jazz y sont passés: Count Basie, Lionel Hampton, Ray Charles, Ellington […] Quand on est entrés dans la loge, Ellington était assis sur une chaise en train de fumer une cigarette de marijuana. Et il avait un bas de femme très serré sur la tête, avec un nœud sur le dessus […] Oh non, ce n'est pas vrai, pas toi, Duke ! Duke a rigolé, tout le monde a rigolé, mais Dieu sait ce que chacun pensait à ce moment"(p.188).
Aussi cités: Sinatra, Gershwin.

#0011 - Paul PINES


PINES Paul : L'ange du jazz (The tin angel), 1983, Du Rocher 1985, Trad. Paul Couturiau
Pendant une dizaine d'années, Pines a fait vivre un club de jazz new yorkais. Premier roman tiré de son expérience.
Notes: "Lloyd clôturait son dernier set par You don't know what love is sur un tempo latin mélancolique" (p.16) "La radio était branchée sur WRVR, et Roland Kirk jouait Bright moments" (p.18) "Je suis entré dans un bar sombre de l'avenue B, l'Annex, où trainaient des intellos noirs: Bob Thompson, les frères Walker, Ishmael Reed, David Henderson, la grande gueule de Mike Bramble et un paquet de nitroglycérine du nom de H. Rap Brown. King Pleasure chantait My little red tap dans le juke box" (p.23) "Billie Holiday chante toujours There is no greater love au vieux Five Spot" (p.27) "Sur la scène, Sheila Jordan chantait God bless the child" (p.58) "Sheila Jordan chantait My favorite thing: Girls in white dresses: with blue satin sashes, -snowflakes that stay- on my nose and eyelashes […] absorbée dans le solo du bassiste Harvey Swartz dans I'll remember april" (p.64-65) "King Pleasure chantait le classique d'Eddie Jefferson Moody's mood: there I go, there I go -Theeere I go. Pretty baby -You're the soul -That snaps my control" (p.89) "Son choix se porta sur un enregistrement de Billie Holiday: Hush now, Don't explain" (p.98) "Billie Holiday chantait Give me a pig's foot and a bottle of beer" (p.100) "Joe Lee chantait une vieille rengaine de Gloria Coleman, Good morning love: Good morning love -how do you do ? -Greetings from -my warm heart to you" (p.140) "Le big band de Buddy Rich au Vanguard" (p.166) "Entre deux morceaux de Quincy Jones: Blues bittersweet et Bone dance" (p.170) "Dinah émergeait du Second Street Café sur les premières mesures de Summertime" (p.186) "On dirait le Mormon Tabernacle Choir chantant l'Hallelujah dans un bain chaud" (p.223) "Joe Lee chantait le blues. Carmine était pétrifié. Il écoutait les paroles: If it wasn't for the blues -I'd spent my whole life in jail, -but I sang 'em so good -that the judge he went my bail" (p.302).

#0010 - Jacques STERNBERG


STERNBERG Jacques : Histoires à mourir de vous, 1991, Denoël / ReEd. Folio N°2699
Pour la nouvelle La cassette, pleine d'humour, basée sur l'amour d'une jeune femme pour Charlie Parker avec un bon conseil pour occuper cette jeune femme pendant un de ses après midi de liberté. Et la nouvelle Le disque, aussi humoristique, mais avec une fin plus constructive concernant la jeune femme ! "Au rayon jazz, il n'y avait que quelques amateurs. Cette musique qui avait marqué toute une génération d'après guerre ne faisait que perdre du terrain depuis les années 70 et semblait agoniser dans l'inculture sans complexe des plus jeunes […] On sentait qu'elle cherchait quelque chose de très précis. Au casier marqué Charlie Parker. Qu'elle fouillait au ralenti, fièvreusement […] La version introuvable de l'un des chefs d'œuvre de Parker: ses déchirantes variations sur le thème d'Embraceable you que l'on pouvait considérer comme son plus beau disque […] Je n'ai jamais ressenti d'affinités vraiment passionnelles avec les femmes -où les hommes- que le jazz laissaient froids"

#0009 - John HARVEY


HARVEY John : Les années perdues (Wasted years), 1993, Rivages Noir N°299, Trad. Jean-Paul Gratias
Notes: "Libérer sa collection de disques de la caisse de thé où elle se languissait. Cela faisait combien de temps qu'il n'avait pas entendu Paul Gonsalves prendre chorus après chorus devant l'orchestre du Duke à Newport, la voix d'Ella qui glisse doucement vers les basses dans Every time we say goodbye […] le son d'un orgue Hammond surgit au moment où Resnick payait son entrée […] Sur scène, un orchestre de sept musiciens jouait Green onions. A cette époque-là, on jouait tout le temps Green onions" (p.13) "La première fois que le chat sauta sur les genoux de Resnick et se laissa caresser, Resnick écoutait l'album Prestige In the beginning. Celui dont la pochette bleue à trois volets s'orne d'un superbe portrait montrant un Dizzy Gillespie très séduisant, dans un cadre rouge. Oop bop sh'bam, avec Sonny Stitt à l'alto, Milt Jackson au vibraphone, le solo de Dizzy les emmenant jusqu'au thème final, une coda vocale aux notes liées. Dizzy avait dit Resnick en souriant […] Quelque mois plus tard, un autre chat, plus jeune, était apparu. Miles, bien sur, qui d'autre ? Pendant l'année qui suivit, Pepper et Bud étaient venus par hasard, et ils étaient restés" (p.91) "Posée sur la pochette de Spike Robinson qu'il écoutait en ce moment" (p.92) "Il le dénicha dans la pochette d'un autre disque, le Blue Serge de Serge Chaloff -pas mal, pensa Resnick, comme couverture d'emprunt" (p.139) "Le timbre poste carmin sur la couverture. Au centre, le visage de Monk, de profil. Son chapeau mou au bord relevé est incliné vers l'avant; sa barbiche en pointe s'avance, de façon symétrique à la courbe dessinée par la couronne du chapeau. Riverside 12-209: The unique Thelonious Monk" (p.175) "Il fredonnait une musique de Charlie Parker, l'un de ces morceaux au titre imprononçable" (p.245) "Ce type qui jouait du piano comme si on lui avait coupé les deux bras. (dixit une copine de Resnick qui n'a pas l'air d'aimer Monk !) […] Dix, onze notes séparées, apparemment sans lien entre elles, les doigts martelant les touches, quand soudain -la contrebasse égrenant son rythme de métronome, un balai effleurant la caisse claire- le vibraphone prend le relai, trouvant une ligne, une mélodie là où il n'en existait aucune auparavent. New York, le 2 juillet 1948. Evidence" (p.256) "Resnick écoutait Charlie Mariano en feuilletant d'anciens numéros de Jazz Magazine" (p.269) "Dans le salon, il fut tenté d'écouter le Lover man de Charlie Parker, ou l'une de ces ballades meurtries que Billie Holiday chantait, accompagnée par Lester Young" (p.274) "Eddie "Lockjaw" Davis enflammait le public devant l'orchestre de Basie quand le téléphone commença à sonner; Resnick ne l'entendit qu'a la fin du premier solo, quand la musique se fut réduite aux quelques notes éparses du piano de Count" (p.376) "Son instinct avait été de glisser une nouvelle cassette dans le lecteur, mais dans sa tête Lester Young jouait déjà Ghost of a chance" (p.418) "Un déferlement de phalanges fougueuses, comme Monk martelant These foolish things sur des morceaux de verre brisé" (p.418).
Aussi cités: Mike Jagger, Charlie Watts, les Stones, les Yarbirds, Jeff Beck, les Blues Breaker, John Mayall, Graham Bond, le Big Roll Band, Zoot Money, Jimmy Powell, les Five Dimensions, Neil Diamond, Tina Turner, les Beatles, Johnny Cash, Tanya Tucker, Billy Joe McAllister, Elvis Presley, Brian Ferry, Rod Stewart, Luther Ingram, David Peaston, Galliano, les Dream Warriors, James Last, et quelques groupes de Rap.

#0008 - Nat HENTOFF


Deux copains flics: un juif et un noir. De la came, du sang, du racket. Du jazz aussi, en guise de musique funèbre.
HENTOFF Nat : Le diable et son jazz (Blues for Charlie Darwin), 1982, Gallimard Série Noire N°1927 / 1983 & Folio N°2583, Trad. Anny Amberni
Notes: "Le joueur de trompette jazz noir, ridiculement jeune, l'ensorcelait littéralement. Ce salaud sait y faire avec son biniou […] Les yeux clos, livide, se lançait Tin tin deo en une gradation ascendante qui explosa dans une série de sons clairs et puissants, en un énorme raz de marée" (p.11-12) "Tu as écouté le nouveau Sonny Rollins ? […] Le Matou prend toujours des risques, ça me plait. Enfin, je veux dire pour le jazz. -Miles aussi était comme ça. Ils passèrent à la brillante carrière de Miles Davis, abordèrent Clifford Brown et entamaient une étude comparée de Betty Carter et Sarah Vaughan" (p.18) "Le lieutenant va vous envoyer des gens qui ne savent pas distinguer Ben Webster de Gordon Liddy" (p.51) "Si tu veux du chant, écoute Sarah Vaughan avec la batterie, elle pulvérise ton macaroni !" (p.91) "Ecoute ce saxo ténor avec Art Blakey. Sang nouveau. Dix-neuf ans à tout casser ! Dommage que Mingus ne puisse l'entendre, il l'aimerait bien ce coco là" (p.122) "L'orchestre se mit à jouer, au milieu du premier morceau, le saxo ténor de dix-neuf ans, un Noir trappu et musculeux, tenant son saxo à angle droit, vint au micro et le premier cri ululant, énorme, pétrifia la salle. C'était un son dur, pénétrant, vorace. Parfois son phrasé rappelait celui d'un precheur braillard d'autrefois. Puis soudain, vrombissant entre les cordes, ses grognements, ses cris rauques et aigus et ses chuchotements démoniaques étaient, pensa Green, ceux d'un dybbuk, l'esprit du mort qui entre dans le corps du vivant pour le posséder. Peut-être était-il possédé par Charlie Parker" (p.124) "Sam dit Green, est-ce que Tommy Flanagan est encore chez Bradsley ? -Pour deux soirs encore. Il a dégotté un contrebassiste du tonnerre. George Mraz. Un Tchèque, tu croyais ça possible ? -Un que j'ai raté, dit Green, c'est Scott Lafaro. Tu l'as déjà entendu ? -Technique éblouissante, dit McKibbon en se grattant le nez. Mais pas vraiment de soul. Mraz, lui, il a les deux" (p.201).
Aussi cité: Hank Williams, Johnny Hodges, Bill Monroe.

#0007 - Julie SMITH


Peu de citations jazz mais la musique est toujours présente. L'action se déroule pendant le Festival, au cœur du Festival, avec les acteurs du Festival.
SMITH Julie : Funérailles à la Nouvelle Orleans (Jazz funeral), 1993, J'ai Lu 1999, Trad. Isabelle St Martin
Notes: "Steve Steinman était venu assister à l'une des plus grande fêtes du pays: le New Orleans Jazz And Heritage Festival" (p.8) "Il voulait même y transférer le sanctuaire de Preservation Hall, cette boite ancestrale de Royal Street où l'on s'asseyait sur des bancs pour écouter des vétérans jouer les grands classiques sans micros" (p.15) "Quelle voix extraordinaire! […] On dirait Janis Joplin […] elle reviendrait en vedette au Festival Du Jazz […] elle interpréterait la chanson de Janis qu'elle préférait: Get it while you can […] Janis aussi était morte jeune. Mais quelle vie bien remplie ! Elle avait fui son trou perdu au fin fond du Texas […] ces sons rauques arrachés aux tripes de la chanteuse (Ccrrryy, baaaaaaby ! ou Tttttrrrrrryyyyyyyyy just a little harder!) […] Elle connaissait Etta et Irma, Bessie Smith, Billie Holiday, toutes les grandes chanteuses de blues […] Mais elle ne se serait jamais doutée qu'une Blanche puisse exprimer de telles émotions. Ti-Belle chantait bien […] Pourtant, la puissance de Janis, ce total abandon, ce feeling c'était quand même autre chose" (p.53-55) "La Nouvelle Orleans regorgeait de familles de ce genre, les Neville, Marsalis, Batiste, Thomas, Lasty et autres Jordan qui vivaient là par et pour la musique […] la mère vous préparait de bons grands plats de haricots rouges en chantant Amazing grace avec une telle conviction que les automobilistes s'arrêtaient en pleine rue pour l'écouter" (p.56-57) "On n'a qu'a jouer Jambalaya […] Melody prit son souffle et entonna: Jambalaya, crawfish pie, filé gombo" (p.61) "Il s'était assis au piano à coté d'elle et avait entonné Brickyard blues […] avait enchainé presque instinctivement sur Ball and chain de Janis Joplin […] Melody aurait volontiers pris une autre chanson de Janis, Turtle blues […] ils s'étaient mis d'accord sur une valeur sure, Something's got a hold on me, suivi de Turtle blues" (p.327) "Dans les enterrements jazz, on chantait des gospels pour la veillée funébre et sur le chemin du cimetière. En rentrant, c'était plus gai, on se réjouissait avec Oh when the saints et Didn't he ramble" (p.352) "Quand ils quittèrent le cimetière, les musiciens jouèrent Oh when the saints puis s'échauffèrent un peu et embrayèrent sur du rock" (p.378).

#0006 - Stanley PEAN


Gabriel est musicien. Tous les soirs, les sons envoûtants de sa trompette perçent l'atmosphère des boites de jazz de Montréal. Mais, depuis qu'il est revenu au Canada, il est la proie de visions étranges. Des obsessions effrayantes, des mots murmurés dans une langue inconnue. Au même moment, ailleurs dans la ville, Bébé Doc, le monstre en exil, use de magie noire pour torturer des innocents. Jazz, tonton macoutes, amour maudit, rites vaudou et corps à corps: un premier roman pour adultes. Pean, né à Haïti en 1956. Vit au Canada. Auteur de romans et nouvelles pour la jeunesse. Un des personnages feminin s'appelle Laura, c'est jazzy, un autre Naima, Naima Grospoint, dommage !
PEAN Stanley : Zombi Blues, 1996, La Courte Échelle Montréal / ReEd. J'ai Lu
Notes: "Les pulsations de son cœur font songer à un solo de batterie de Tony Williams […] Les notes qui coulent du pavillon ont cette sonorité voilée, d'une tristesse pudique, que l'on associe à Miles Davis […] Les ondes grésillent jusqu'à ce qu'il s'arrête sur What's new ? interprété par Helen Merrill" (p.33-35) "La pochette le montre, tête inclinée, trompette embouchée pointée vers le sol […] Titres émaillés de références Africaines: Afro blues, Queen of Sheba, Liberian girl, Nefertiti, Song of Salomon, Theme from roots, African waltz, Appointment in Ghana, Zombi blues" (p.37) "You don't know what love is, until you've learned the meaning of the blues, entonne-t-il sans se retourner" (p.57) "Sous le regard indulgent de Louis Armstrong, dont le portrait orne le mur du fond […] Seule l'imitation servile de Charlie Parker par Picard chicote le leader […] Il entend la voix aigre douce de Nat King Cole entonner ce vieux succès: Laura is the face in the misty light - Footsteps that you hear down the hall - Laughter that floats on a summer night - That you can never quite recall - And you see Laura on the train that is passing through - Those eyes how familiar they seem - She gave your very first kiss to you - That was Laura, but she's only a dream" (p.59-60) "Au salon tourne un des derniers microsillons de Chet Baker, Let's get lost […] There's a girl here and she's almost you, susurre ce vieux Chet (paroles et musique Elvis Costello)" (p.85-86) "Montreal se pomponne […] des affiches aux couleurs éclatantes claironnent le Festival de Jazz […] la Place de Arts adoptera des airs de New Orleans. Et peu importe si on y célébre davantage le retour de la belle saison que l'hommage rendu à la mémoire du King Armstrong, du Duke, du Count, du Prez et autres membres de la cour impériale. […] Le Sensation Bar […] Sa Martin Committee en main […] Drummond donne un coup de cymbale et on attaque l'intro bluesy de Nefertiti […] répétant à l'unisson avec Picard le thème quasi hypnotique signé Wayne Shorter" (p.91-100) "Il consent toutefois à discuter de ses modèles: Miles, Brownie, Lee Morgan, et même, dans une moindre mesure, Lester Bowie […] s'éponge le front, geste qui évoque Armstrong […] Peut être devrait-il s'esclaffer à la manière du vieux Satchmo, qui, d'un éclat de rire, balayait sous le tapis les tracasseries du quotidien (sic !)" (p.137-139) "Liens de tous temps essentiels entre trompettiste et batteur, de Louis Armstrong et Baby Dodds à Brownie et Max Roach" (p.148) "Un bluesman chevrote sa chanson en s'accompagnant à la guitare sèche: I got them voodoo blues - Them evil hoodoo blues - Petro Loa won't leave me alone - Ev'ry night I hear the zombies moan - Lord, I got them mean ol' voodoo blues. (Paroles et musique: Edison "Toots" Sweet)" (p.166) "A la faveur d'une montée de la trompette de Miles, il la pénétre d'un violent coup de rein (sic !)" (p.198) "Sensation Bar […] Au son de la voix blessée de Billie Holiday […] un couple de fanatiques débattent de la période la plus valable de l'œuvre de Lady Day" (p.206) "Happiness is a warm gun, le refrain de la chanson de Lennon."(p.241).

#0005 - Hugues PAGAN


Au niveau du polar, mauvaise note. Des aberrations dans la narration. Il se contredit en quelques pages. Surtout une sombre histoire de disquette (p.45) qui déclenche beaucoup de drames. Zéro pour le polar. Reste la musique et surtout Lady Day qu'il cite régulièrement.
PAGAN Hugues : Dernière station avant l'autoroute, 1997, Payot & Rivages / ReEd. Rivages Noir N°356
Notes: "En sourdine, j'avais mis un petit morceau de blues […] Il y avait une basse et une batterie, deux guitares dont l'une semblait en fer et l'autre, détimbrée et pensive, avait l'air d'être sans cesse prête à nous quitter sur la pointe des pieds.Il y avait aussi un saxo tenor, robuste et joufflu […] Bien des blues sont remplis de trains et d'hommes ou de femmes qui ne reviendront jamais" (p.34-35) "Il a diagnostiqué sans la moindre hésitation: Mildred Bailey. Saint Louis blues. Pas une grande, pas une petite non plus. Bus Bailey à la clarinette. Russel Procope à l'alto" (p.38) "J'ai mis un blues de Leroy Carr. Wild Bill Davis à l'orgue, crayeux, sinueux et puissant comme un gros huit cylindres" (p.58) "C'était un homme qui avait la stature et des airs de Charlie Mingus" (p.85) "J'ai imité la frappe de Basie, claire, élégante, pleine d'allant. J'ai imité le Duke, plus lourd de sens, plus proche du tragique bien que tout aussi élégant et vigoureux […] Tu veux quoi ? Erroll Garner ? Allons-y pour Garner. Tu préféres Monk ? Un p'tit coup de Monk" (p.128) "En écoutant le saxe pudique et rentré de Lester Young, le timbre amer et comme déphasé rythmiquement de Lady Day" (p.137) "J'avais mis un vieux disque de Count Basie. C'était un concert live et le Count annonçait chaque titre d'une voix lointaine, grave et assourdie. Grand pianiste, Basie. Solide, inventif. Une rythmique vigoureuse et précise […] L'un des deux saxo tenors avait un phrasé simpliste, un timbre primitif et franc, à la Red Prysock, mais ce n'était pas en soi une raison suffisante pour le haïr. Au pif, le sax, j'aurais dit Billy Mitchell" (p.163) "J'ai mis Lady Day en boucle. Stormy weather. A Carnegie Hall en 1955. C'est pour moi l'un des plus beaux blues de tous les temps. Lady lui donne une dimension presque cosmique. Le pays qui le choisirait pour hymne national ne pourrait faire autrement que se rendre maître du monde dans les trente-six heures suivantes" (p.256) "Erroll Garner. Il jouait une composition de Deutsch qui s'appelle, je m'en souviens, When a gypsy makes his violin cry […] on a toujours dit que ce que Garner avait d'inimitable, c'était un décalage rythmique par retard de l'attaque. Il avait une fabuleuse main gauche mais qui n'expliquait pas tout" (p.307) "J'écoutais Lonnie Johnson […] Après une intro claire et séche, qui rappelait qu'il avait fait ses débuts au violon, Lonnie chantait: Blues falling like showers of rain / Every once in a while, I think I hear my baby / Call my name" (p.324-325) "J'ai dans la tête les premières mesures de Wild man blues, de Morton et Armstrong. Le saxo soprano de Sidney a quelque chose de vaguement maléfique" (p.348).
Aussi cités: Rory Gallagher, Frank Sinatra, Miles Davis, Arlen et Mercer, Carl Perkins et Mozart, Mahler et Brahms.

#0004 - Jack KEROUAC


KEROUAC Jack : Vraie blonde et autres (Good blonde and others), 1993, Gallimard Du Monde Entier 1998, Trad. Pierre Guglielma
Préface de Robert Creeley. Quelques lignes extraites de chacune des 6 nouvelles qui racontent, plus où moins, le jazz parmi les 20 qui composent Vraie blonde, et autres.
Blues de la bagarre pour la ballade: "Il a commencé à chanter comme s'il avait su que j'apprécierais vraiment et aussi pour son propre plaisir à se souvenir. Ses chansons venaient de ce mystérieux blues pour la ballade, celui de la guitare en sourdine et des mots inconnus qui s'élévent de fond de la nuit du sud, comme un grognement, comme un feu derrière les arbres"
Sur les origines d'une génération: "A cette époque, je n'aimais toujours pas le bop alors introduit par Bird Parker et Dizzy Gillespie et Bags Johnson (au vibraphone), le dernier des grands musiciens de swing était Don Byas qui allait partir pour l'Espagne juste après, mais alors j'ai commencé, mais avant ça j'avais adoré tout mon jazz au Minton Playhouse (Lester Young, Ben Webster, Joey Guy, Charlie Christian et d'autres) et quand j'ai entendu pour la première fois Bird et Diz au Three Deuces j'ai su qu'ils étaient des musiciens sérieux qui jouaient un nouveau son bien allumé et se foutaient de ce que je pouvais en penser"
Le dernier mot / neuf (décembre 1960): "Je pense que la première percée depuis Charlie Parker a été accomplie par Ornette Coleman et Donald Cherry avec son petit cornet et que ça va ouvrir la voie, comme la voie de Parker, d'une toute nouvelle ère du jazz. Un autre signe d'une autre résurgence du jazz est la présence de centaines de grands solistes pour exécuter l'harmonie et le phrasé nouveaux. Et voici quelques noms instrument par instrument"
Début du bop: "Le Bop a commencé avec le jazz mais au cours d'un après-midi, quelque part sur un trottoir, peut-être en 1939, 1940, Dizzy Gillespie ou Charley Parker ou Thelonious Monk passait devant un magasin de vêtements pour hommes sur la 42e Rue ou South Main à L.A. et dans le haut-parleur ils ont tout à coup entendu une folle erreur impossible dans le jazz qui n'avait pu être entendue qu'a l'intérieur de leur propre tête imaginaire, et ça c'est un art nouveau. Bop. […] Lionel avait fait un disque intitulé Hey baba ree bop et tout le monde l'avait hurlé et c'était l'époque où Lionel sautait au milieu du public et donnait la raclée à tout le monde avec son saxophone dans la sueur (sic !), les applaudissements, les fous bondissant dans les travées, le batteur qui se déchaînait sur la scène pendant que tout le théatre tremblait. Chanté par Helen Humes ce fut un disque populaire et il se vendit très bien en 1945-46"
Vraie blonde: (pas musical sauf) "Je t'appellerai et on ira écouter Brue (sic ! Brew) Moore, j'ai entendu dire qu'il était ici"
La philosophie de la beat génération: "Nous restions éveillés jour et nuit en buvant tasse sur tasse de café noir, en écoutant disque après disque Wardell Gray, Lester Young, Dexter Gordon, Willis Jackson, Lennie Tristano et tout le reste […] Le fait qu'un type comme Stan Getz, le plus grand génie du jazz de sa génération beat, quand il a été en prison après avoir essayé de braquer un drugstore, s'est mis soudain à avoir des visions de Dieu et s'est repenti"

#0003 - Toni CADE BAMBARA


CADE BAMBARA Toni, Ce cadavre n'est pas mon enfant (Those bones are not my child), 1999, Bourgois 2002, Trad. Anne Wicke
Notes: "Sur Campbellton Road […] les amateurs de jazz se rassemblaient au numéro 200" (p.165) "Deux où trois hommes repéraient un mot dans la conversation et se mettaient alors à chanter le même bout de la même chanson, en même temps, comme par magie. La musique. L'un d'eux qui soufflait dans son poing pour produire un son de bottleneck, l'autre qui se tapotait l'estomac pour faire un bruit de guitare, un troisième qui tendait le cou comme un fou et tapait contre sa pomme d'Adam pour faire la basse. Ces hommes qui parlaient d'autres hommes. Des chanteurs de blues aux noms bizarres: Tub, Stubbs, Pinetop, Furry, Cleanhead, Gatemouth, Iron Jaw, Howlin', Lightnin', Muddy… […] Ces hommes […] lui indiquaient les endroits où il devrait aller plus tard […] écouter de la bonne musique: Memphis, Greensboro, Chicago, La Nouvelle Orleans… Et puis d'autres noms, Tampa Red, Mississipi John, Sunland Slim… […] la conversation roulait sur Big Walter, Big Maybelle, Queen Ida ou King B. B. Mais, chaque fois, quelqu'un s'en apercevait, lui passait un bras autour des épaules et orientait la conversation sur les Sonny Boys, les Pee Wees, les Tinys et les Juniors" (p.174-175) "Ils évoquaient les pique-niques partagés dans les vrais parcs […] surtout à l'époque des festivals, quand ils écoutaient du jazz" (p.215) "les étiquettes collées sur les cassettes […] Bud Powell, Roy Ayers, le Chicago Art Ensemble, Betty Bebop Carter. […] Tormé, Mose Allison, Diana Ross, Dionne… mais où était donc Nina, notre Nina, la Sorcière Noire ? Dave grimaça un sourire en souvenir du concert de 1968, au Stadium d'Atlanta –Nina, Miles, Cannonball… Des milliers de gens étaient venus entendre Nina délivrer la bonne parole: Qu'ils fassent bien gaffe, les autres ! Et il valait mieux qu'ils fassent gaffe, vraiment… Après cela, on ne parlait plus que du soi-disant Kool Jazz Festival. […] pour aller écouter Nina. Elle avait dit au public, la fine mouche, que les organisateurs l'avaient suppliée de ne pas être trop militante, de ne pas choisir des chansons trop brûlantes. Elle avait ensuite éclaté de rire et montré le chèque, elle avait traversé la scène en agitant le bout de papier. Les connards l'avaient déjà payée. Oouais, hurla la foule, on veut Mississipi Goddamn !, Pirate Jenny… Du piano, elle avait regardé vers les bâtiments administratifs, en chantant: Je ne crois pas qu'ils seront encore debout demain. Nina, notre Nina" (p.378-379) "C'est du Mount Moriah Tabernacle que venait la vieille mélodie; la main gauche, sombre, lançait de tristes sons résignés, dans les graves, pendant que la main droite sautillait sur le clavier, improvisant de sémillants commentaires, jusqu'au moment où les épaisses cordes graves se lancèrent dans un mélange de thèmes venus d'autres cantiques, psaumes ou spirituals. –Il est complètement fou, le gars du piano […] Des grappes de notes bousculèrent librement, bouleversant la ligne générale, forçant la main gauche à donner un peu dans le blues, le gospel, le bop-doo-wop […] La main gauche chassait la droite, dans un effort incessant, dans cet effort pour rendre supportable l'insupportable. Les deux mains s'envolèrent vers des rythmes qui semblaient s'engendrer tout seuls, la pédale écrasée leur donnait plus de force encore, et la musique roulait, roulait, roulait dans ce monde hostile […] Puis les deux mains s'accordèrent sur un registre inférieur, pour se réfugier dans un peu de Go down Moses, de Swing low et de Nobody knows" (p.391-392) "l'expression pince-fesses […] Il se souvenait du terme, dans les vieux disques de son père, du blues bien solide des années vingt" (p.556) "au Cul-Sec, il y avait une bonne petite formation de jazz" (p.593).
Aussi cités : Bob Marley: I shot the sheriff, Martha & The Vandellas: Dancing in the street, Gil Scott-Heron, Marvin Gaye, Mary Lou Williams, Eddie Heywood, le Peacock Lounge, Peabo Bryson: Crosswinds, Olivia Newton-John, Queen: Another one bites the dust, Stevie Wonder, Al Jarreau, Nat King Cole, Etta James, Ida Cox, Lena Horne, (Frank) Sinatra, (Sammy) Davis, les Wailers, Fela.

#0002 - James Lee BURKE


BURKE James Lee, Dans la brume électrique avec les morts confédérés (In the electric mist with confederate dead), 1992, Payot 1995, ReEd. Rivages Noir N°314, Trad. Fredy Michalski
Notes: "Elle adorait la musique Zydeco et elle s'était rendue au rade à musique pour écouter Sam Hogman Patin jouer de son harmonica et de sa douze-cordes de blues style bottleneck" (p.34) "Hogman ressera la clef d'une nouvelle corde qu'il venait de monter sur sa guitare […] Il avait enfilé trois picks en acier sur les doigts et jouait une progression de blues le long du manche. Il écrasait les cordes sur les barrettes, de sorte que le son continuait à se réverbérer à travers le bois sombre après qu'il eut pincé les cordes au moyen de ses picks. Puis il resserra à nouveau la clef et posa le gros ventre cintré de sa douze-cordes sur sa cuisse" (p.105) "Au milieu de tout ça, Hogman Patin était assis sur une caisse retournée, sa guitare à douze cordes posée sur ses cuisses croisées. Il s'était habillé comme un musicien nègre des rues du 19ème siècle, hormis un chapeau de cow-boy blanc en paille planté à l'oblique sur le crâne. Les picks argentés à sa main droite couraient sur les cordes pendant qu'il chantait" (p.219) "Sélectionnait un vieux disques de Clifton Chenier, Hey 'tite fille" (p.277) "Son complet blanc luisait d'un reflet mauve électrique sous les projecteurs de la rampe de sol, et la surface noire et lustrée de sa douze-cordes clignait de reflets minuscules. Lorsqu'il souffla dans l'harmonica attaché à un bracelet métallique à son cou et se mit à faire rouler les picks d'acier dont ses doigts étaient garnis en attaquant un blues en mi majeur, la foule se mit à geindre à l'unisson […] Hogman chantait un homme qui avait vendu son âme pour un Stetson sang-de-bœuf qu'il venait de perdre lors d'une partie de craps. Stagolee." (p.350) "Je m'avais trouvé une grosse guitare Stella à douze cordes" (p.355).

#0001 - Robert BOBER


Berg a vingt ans. Beck en a onze. Un jour pourtant ils avaient le même âge. Ils habitaient la même rue, allaient dans la même école. Le matin du 8 juin 1942, ils se sont attendus pour y arriver ensemble. Une étoile jaune était cousue sur le côté gauche de leur poitrine. Quelques semaines plus tard, Beck fut arrêté avec ses parents. Parce qu'on ne parla plus de lui, Beck ne manqua à personne. En 1952, Berg devient éducateur dans une maison d'enfants de déportés "avec la tâche insurmontable de leur apporter une consolation" et où pourtant parce qu'il y a le jazz et les Marx Brothers, la bicyclette et les cerfs-volants, il y aura aussi des instants de joie, des moments de vie volés.
BOBER Robert, Berg et Beck, 1999, POL
Notes: "Mes disques de jazz, j'en avais amené plein à la colonie parce que comme musique, je trouvais qu'il n'y avait rien de mieux. Dès la première semaine, j'avais organisé pour les plus grands une veillée avec audition de disques […] Qui a déjà écouté du jazz ? […] Quel est votre musicien de jazz préféré ? […] dont je préfère ne pas dire le nom m'a répondu Paul Robeson […] je ne voyais pas comment j'allais rentrer dans la discussion sans perdre la bonne humeur indispensable pour transmettre le virus du jazz. D'abord, Paul Robeson, c'est pas du jazz. -Et Old man river, alors ? […] Justement, Old man river c'est pas du jazz. Déjà parce que le jazz, lorsque c'est chanté, ne peut se chanter qu'en anglais. Et en plus Paul Robeson chante comme un Blanc (sic !) […] des musiciens de jazz blanc, il y en a. Je ne parle pas d'Aimé Barelli, tout ça. Ca c'est du jazz commercial. Non, les musiciens de jazz blancs, lorsqu'ils sont bons, essayent d'abord de jouer comme les Noirs et parfois ils vont même jusqu'à partager leur vie, même si leur vie n'a rien a voir avec celle des Noirs parce que, pour un Blanc, aux Etats Unis, à cause du racisme, les problèmes ne seront jamais les mêmes que pour les Noirs (sic !) […] j'en ai profité pour parler de Bessie Smith […] puis j'ai cité trois vers de Young woman blues: Nobody knows my name, nobody knows what I've done / I'm as good as any woman in your town / I ain't no high yeller, I'm a beginner brown […] j'avais conscience que pour la première fois certainement, en écoutant Jelly Roll Morton, King Oliver, Louis Armstrong, Sidney Bechet, Fats Waller et Duke Ellington, ces enfants, du moins certains d'entre eux, avaient entendu et peut être compris que le jazz était bien la musique la plus vivante, la plus inventive, la plus généreuse du XXème siècle […] C'est un disque de Jelly Roll Morton […] Ca s'appelle Oh didn't he ramble […] Je ne connaissais pas le nom de tous les musiciens qui composaient le Jelly Roll Morton's New Orleans Jazzmen, mais je savais que Zutty Singleton était à la batterie et Sidney de Paris à la trompette. Au saxo soprano Sidney Bechet était immédiatement reconnaissable. Je reconnaissais aussi presque immanquablement Albert Nicolas, un de mes clarinettistes préféré […] Je voulais seulement qu'elle suive le récit de Oh didn't he ramble.Après les clameurs, il y avait un roulement de tambour de Zutty Singleton immédiatement suivi d'un appel de trompette à la suite de quoi […] un roulement de tambour décroissant et une voix: He ramble, he ramble, he ramble […] J'ai remercié Jelly Roll Morton, et j'ai rangé le disque […] il y avait un disque de Fats Waller: Two sleepy people […] j'ai choisi The joint is jumping […] Une fois de plus j'ai pensé que Fats Waller était vraiment le musicien à emmener sur une ile déserte […] Après les coups de sifflet de la police et les sirènes de la fin, il y avait un conseil: Don't give your right name, no, no ! Il avait tout compris Thomas "Fats" Waller. Surtout ne donnez pas votre véritable nom !" (p.44-55) "un vieux Jelly Roll Morton de 1928, enregistré chez Gramophone sous le nom de Jelly Roll Morton's Red Hot Peppers. Une formation différente de celle qui avait enregistré Oh didn't he ramble. Sur une des faces Kansas city stomp. D'entrée la clarinette puis la trompette, puis le trombone et enfin le tuba" (p.134) "C'était un livre de photographies sur les musiciens de jazz ou, si l'on préfère, une histoire du jazz par la photographie […] Pas Buddy Bolden dont la photographie ouvrait le volume. Buddy Bolden n'avait jamais enregistré de disques, et c'est surtout grâce à Jelly Roll Morton, qui avait en 1939 chanté et joué I thought I heard Buddy Bolden say, que l'on connaissait son existence […] le King Oliver Creole Jazz Band, Le Jimmy Noone's Apex Club Orchestra, Bunk Johnson et l'Original Superior Orchestra ou encore l'Original Creole Orchestra de Freddie Keppard. Freddie Keppard qui refusait d'être enregistré de crainte d'être copié par d'autres cornettistes" (p.211-212) "Quelqu'un avait offert La rage de vivre de Milton "Mezz" Mezzrow. C'est dans ce livre que j'avais appris comment Bessie Smith était morte […] C'était le pianiste de jazz Eddie Bernard […] il fit remarquer qu'au moment de la crise de 29, Tommy Ladnier et Sidney Bechet, un moment reconvertis, avaient ouvert une boutique ou l'on réparait les vêtements: la Southern Tailor Shop. Avec un sens très sur de la situation, Eddie Bernard joua alors Tea for two […] il enchaina Ain't misbehaving, The minor drag, Handful of keys et Honeysuckle rose […] C'est en la regardant qu'Eddie Bernard attaqua avec toute l'ironie nécessaire I'm crazy 'bout you my baby […] termina avec l'epoustouflant Tiger Rag" (p.218-222).
Aussi cités: Django Reinhardt, Gus Viseur, Médard Ferrero, Tony Murena, Jo Privat.