#0031 Marcel DUHAMEL


DUHAMEL Marcel, Raconte pas ta vie, 1972, Mercure de France
Plus de 600 pages de souvenirs en tous genres et aussi en jazz !
Notes: "Et pourtant, depuis que nous avons découvert le jazz New Orleans et Louis Armstrong, nous nous payons un véritable festival de 78 tours que nous nous cassons mutuellement sur la tête, une fois l'attrait de la nouveauté épuisé. Quand je pense que, des années plus tard, il me faudra faire des kilomètres à pied, aux Puces, chez les disquaires de banlieue (et même jusqu'aux foires à la ferraille d'Afrique du Nord, quand je passerai par là) pour en retrouver çà et là un exemplaire éraillé" (p.169) "Où allons-nous ce soir ? Chez Bricktop, bien sûr. C'est Aragon qui est passé me prendre et qui m'emmène faire une virée à Montmartre. Car, pour les amateurs de vrai jazz, c'est encore là qu'opèrent les meilleurs orchestres de New Orleans, au Florence, au Plantation, au Grand Duke, au Zelly's. Le Grand Duke, c'est rue Pigalle, et c'est là que Bricktop reçoit. Elle danse, chante du folklore, des spirituals, accompagnée d'un unique et remarquable batteur, Buddy Gilmore. Et, par intermittence, d'un pianiste. Ne serait-ce pas Tony Jackson ? […] Et nous sortons de là ivres de blues et de gin, vers six heures du matin" (p.192) "Je prends le métro, le même soir pour me rendre à Harlem, capitale, entre autres, du jazz New Orleans […] Le cabaret Small's Paradise affiche une soirée de bienfaisance avec une demi-douzaine d'orchestres, dont Armstrong, Henderson, Ellington, etc. […] Chez Small's, c'est bourré. Fletcher Henderson et son ensemble mettent le feu à la baraque. Un serveur, entre deux tours de locomotive-claquettes autour de la piste, son plateau à bout de bras, me colle à une petite table […] Les orchestres se relayent toutes les dix minutes. Les numéros aussi. Le public est presque uniquement noir. Un couple, installé dans un box, agite un billet en direction de la chanteuse de blues qui, ausitôt, vient chanter pour eux. Comme dans toutes les boites, avec cette différence qu'un extraordinaire numéro de claquettes dansé par deux gosses d'une dizaine d'années, remplace illico sur la piste la chanteuse qui continue de pousser son blues pour la clientèle privée […] Le surlendemain, je me retrouve seul à une table, au Small's Paradise. Le Blues, le Shimmy, le Boogie et le Charleston, je m'en fourre jusque-là. J'en fais provision pour le reste de mes jours" (p.227-229) "Aucun doute, la première revue nègre au théatre de Champs Elysées date de 1925. Pas question de manquer ça. Et ça vaut la peine. Dans des décors de Paul Colin, le ballet des girls, du miel à l'ébène, avec Joséphine Baker simple exécutante, vêtue -mais qui l'ignore encore- d'un régime de bananes, qui frétille du panier avec frénésie et, sur un fond de goudron noir, l'apparition de Sidney Bechet poussant une voiture des quatre saisons en jouant Tin roof blues sur son saxo" (p.244) "(au Bal Nègre, rue Blomet) La clarinette de Léardet vous éclate en pleine poire, pétillante comme des trilles d'alouette dans un champ de pâquerettes, et comment résister à cette sirène ? […] Sam Castendet, ou Léardet, ou Exotic Jazz, tous Antillais […] Le rythme atteint son paroxysme, éliminant insensiblement les Blancs de la piste et pour le quadrille que tout le monde attend, seuls quatre couples restent face à face. Finalement, les femmes abandonnent elles aussi, laissant s'affronter quatre Noirs ruisselants de sueur, possédés par l'orchestre et par la clarinette de Léardet comme par la flute enchantée" (p.364-366) "Avec Henri Filipacchi, on court Paris et sa banlieue, à la recherche de disques de jazz. Les disquaires étant à sec, restent les brocanteurs, les marchés aux puces et même la Foire à la Ferraille […] Mais c'est, la plupart du temps, non des Armstrong Okeh d'origine (ou alors hors d'usage) mais des disques des vedettes du Caf'Conc […] Encore du Lombardo. Et puis, en dessous, le pactole: une dizaine d'originaux de New Orleans, Armstrong, Cotton Pickers, Blue Bmowers, Bix, etc. […] Il lui arrive fréquemment d'improviser des concerts de jazz pour les amis, avec, par exemple, le violoniste Stéphane Grapelly, un pianiste, un clarinettiste, etc. […] Je repére dans un coin un personnage de trente-trente-cinq ans, moustache et tignasse noires, un peu dégarni sur les tempes, assis tout timide avec, au pied de sa chaise, une boîte à guitare. Il écoute puis, lentement, prend la boîte, l'ouvre, en sort son instrument, pince quelques notes et, soudain, se décide et accompagne Night and day, le solo de Grappelly, comme s'il n'avait fait que ça toute sa vie. C'est Django. désormais, ils ne joueront plus l'un sans l'autre" (p.475-476).

Aucun commentaire: