#0070 Michel BULTEAU


Né en 1949, Michel Bulteau publie à vingt-deux ans le Manifeste Électrique qui marqua la poésie contemporaine. Encouragé par Henri Michaux, il poursuit sa quête de poète insoumis. En 1976, il part pour New York où il rencontre les poètes beat, les peintres pop et les musiciens punk.
BULTEAU Michel, A New York au milieu des spectres, 2000, La Différence
Trois textes bien allumés parlant d'une époque encore plus allumée, celle de la beat génération.
Notes: "Avant de s'endormir, à trois heures du matin, le jazz de Harlem bouillonnant encore dans sa tête […] Tu ne m'as pas dit l'autre jour que White light était le titre d'une peinture de Pollock reproduite dans l'album Free jazz d'Ornette Coleman ? […] John Coltrane, un stéthoscope se balançant à son cou, aurait pu participer à cette jamsession de 1970 -hélas trois ans plus tôt il avait faussé compagnie à tout le monde- avec Jimi Hendrix à la guitare et Jim Morrison à la batterie et ses plaintes ressemblant aux yeux mi-clos de Bouddah, pour ravager Sunshine of your love des Cream […] Un après midi de février 89 passé à écouter une cassette de Sam Cooke. Chain gang, un des morceaux fétiches de mon adolescence. La sève brûlante de Having a party et de Twistin' the night away. Johnny se souvient du nom du guitariste: Cliff White […] Johnny a toujours préféré la version cinématographique avec Frank Sinatra au livre de Nelson Algren […] Jerry Nolan confiant que son film fétiche était Gene Krupa story avec Sal Mineo".

#0069 Sherman ALEXIE


Sherman Alexie, à trente ans, est considéré comme l'un des meilleurs écrivains de sa génération. Enfant terrible des lettres américaines, il construit une œuvre à nulle autre semblable, résolument moderne, dont Indian Blues est la parfaite illustration.
ALEXIE Sherman, Indian blues (Reservation blues), 1995, Albin Michel 1997 / ReEd. 10-18 N°3059, Trad. Michel Lederer
La légende dit qu'en 1931, le célèbre musicien noir Robert Johnson vendit son âme au Diable en échange d'une guitare enchantée et d'un talent extraordinaire pour le blues. Présumé mort depuis plus d'un demi-siècle, il réapparaît aujourd'hui sur une réserve indienne de l'Etat de Washington, à la recherche d'une vieille femme auprès de qui se sont succédé Marvin Gaye, Jimi Hendrix, et Janis Joplin. Celle-ci ne représente-t-elle pas pour lui le dernier espoir d'être libéré du pacte diabolique ? Toujours est-il qu'il finit par oublier sa guitare à bord du pick-up d'un jeune Indien qui l'a pris en stop. L'instrument magique pourrait encore faire des prodiges... C'est ainsi que naissent les "Coyotes Spring", un groupe de rock cent pour cent Indien dont l'ascension, des Réserves à Manhattan, sera fulgurante. Mais peut on jouer impunément de l'instrument diabolique ? Bien peu de jazz dans cette histoire bien sympatique. Un échantillon: "C'est une Indienne qui a inventé le blues un jour avant que Christophe Colomb débarque, et le rock'n'roll, le lendemain (sic !)" (p.161).

#0068 Emmanuel Boundzéki DONGALA


Emmanuel Boundzeki Dongala est né en 1941, de père congolais et de mère centrafricaine. Il passe son enfance et son adolescence au Congo, poursuit ses études aux Etats-Unis et en France, avant d'enseigner la chimie à l'université de Brazzaville. Lors du conflit congolais de 1997, il quitte Brazzaville avec sa famille. Grâce au soutien actif de Philip Roth, il trouve refuge aux Etats-Unis. Il est depuis professeur de littérature francophone et de chimie à l'université de Simons Rock (Boston).
DONGALA Emmanuel Boundzéki, Jazz et vin de palme, 1982, Hatier Monde Noir Poche / ReEd. Le Serpent à Plumes Motifs 2000
Dans ce recueil, deux nouvelles "Jazz et vin de palme" et "A love supreme"
Notes: Jazz et vin de palme: "La musique de John Coltrane les jetait dans un état catatonique d'abord, puis dans une sorte de nirvâna […] ce qui permettait ensuite à la musique cosmique de Sun Râ de les volatiliser" (p.122) "Des millions de disques de John Coltrane furent gravés en secret […] On traitait partout Sun Râ en roi et jamais son orchestre solaire n'eut tant de travail" (p.123) "Soudain, de partout, des maisons, de l'intérieur de la Terre, de l'Espace, éclatèrent les sonorités envoûtantes du saxophone de John Coltrane […] Alors Sun Râ mit sa fusée-orchestre en marche […] Sun Râ fut le premier homme musicien de jazz et noir à devenir président des Etats-Unis […] c'est ainsi, enfin, que le jazz conquit le monde […] John Coltrane fut canonisé par le pape sous le nom de Saint Trane. Le premier volet de son œuvre A love supreme remplaça le Gloria dans la messe catholique" (p.124-125).
A love supreme: "Quand j'arrivai de mon Afrique natale, je ne connaissais que vaguement la musique classique d'Armstrong, d'Ellington ou encore de Bessie Smith […] Je trouvais cette musique émouvante parce que nostalgique […] Quand j'avais le cafard, je me plongeais dans l'âme profonde et douloureuse de Billie Holiday ou de Ma Rainey. À l'inverse, je sautillais sur les rythmes gaillards et égrillards de Fats Waller ou de Willie Smith le lion" (p.137-138) "J. C. est mort […] J'essayai de joindre Archie Shepp qui était en France […] j'essayai en dernier ressort de joindre le poète Imamu Baraka, mais il avait quitté Newark" (p.139) "En fait, il (Coltrane) n'était pas inconnu comme il s'était plu à nous le faire croire car il avait gravé un disque avec Ellington, sans compter bien sûr les disques avec Miles et avec beaucoup d'autres grands musiciens classiques tels Johnny Hodges, Theolonius Monk (sic !), etc. Mais, pour lui, cela ne comptait pas, c'était le passé. Pour lui, la musique, comme tout art vivant, ne devait cesser de se dépasser, de se surpasser" (p.144) "petit à petit, faiblement d'abord, enflant, gonflant, surgissant et submergeant tout comme un torrent, le saxophone de J. C. émergea du chorus […] Les sons, les phrases, les harmonies, les passions, les cris s'envolaient de ce saxophone, inépuisables comme une mer en furie" (p.145-146) "J. C. était mort. Nous écoutâmes longtemps les disques que nous possédions de lui, nous sentions plus encore l'amour volcanique, pour ne pas dire cataclysmique, qui s'échappait de l'instrument de cet incroyable musicien" (p.152-153).

#0067 José André LACOUR


LACOUR Jose André, Venise en octobre, 1958, Le Cri / ReEd. Julliard
Un saxophoniste à Venise…
Notes: "Ceci est l'histoire de Bobby Saxalto, un garçon qui voulait aller à Venise en octobre. Il jouait du saxophone et c'est pourquoi on l'avait surnommé Bobby Saxalto, mais ce n'était pas son vrai nom. Il jouait merveilleusement, ses tempes se gonflaient et, de votre mémoire qui l'écoutait naissaient des songes terribles, comme lorsqu'on entendait jadis le vieux Bix Beiderbecke ou qu'on écoute, de nos jours par une nuit trempée d'étoiles et de regrets, Don Byas" (p.5) "Il suait et trépidait et il bramait Saint Louis blues ou The man I love avec la voix déchirée, rêche et trouée de Louis Armstrong, une voix tellement plus vieille que lui, une voix si lacérée par la vie, les années et la souffrance qu'on était saisi et inquiet qu'elle appartint à ce petit garçon blond et fade […] Il laissait Bobby achever seul, les yeux clos, le nez plissé au-dessus de son saxophone, la mélodie amère et angoissée qui les rassemblait tous" (p.37) "Il joua. Il jouait debout au pied du lit de Ma, sans perdre Ma de l'œil, ses tempes se gonflaient, et ses joues, il y mettait un cœur ardent et désespéré et jamais plus il ne joua Stormy weather comme ce jour-là. Jamais plus d'ailleurs, pendant des années et des années, il ne joua Stormy weather" (p.40) "Il joua merveilleusement, à vous arracher tripes, pleurs et cœur […] Vous autres spectateurs et clients et musiciens qui étiez dans cette petite boite de Pigalle, dans la fumée rougie, vous aviez le cœur fendu en regardant jouer ce garçon tremblant, à la jambe trop courte et aux tempes gonflées, si pâle mais si beau, qui oscillait dans sa musique, les yeux clos pour y sombrer et qui étouffait de tant d'amour, de tant d'espérance et de tant de chagrin. Et de votre mémoire naquirent alors des songes déchirants et terribles comme lorsqu'on entendait jadis le vieux Buddy Bolden ou que vous écoutiez, ce soir, par une nuit trempée d'étoiles et de regrets, Don Byas" (p.118-119) "J'aime tes disques. Gillespie. Charlie Parker. Charlie Parker The Bird. L'immortel Charlie Parker. Je joue du saxophone alto, comme lui, c'est pour ça qu'on m'a appelé Saxalto" (p.132) "J'ai apporté mon saxophone, chérie. Je veux jouer pour vous […] Il joua comme Charlie Parker jouait juste avant sa mort, c'est-à-dire merveilleusement. Il joua comme jouait Charlie Parker alors que les fines ombres de la mort descendaient déjà sur ses traits, à Chicago, et que Charlie s'évadait de son corps passionné, périssable" (p.144) "Il était là, se balançant lentement, jouant Saint Louis blues […] Car lorsqu'ils furent là, Saint Louis blues était devenu une marche funèbre, et ils s'arrêtèrent, le gendarme, la dame voilée et le gardien, car la musique qu'ils entendaient à présent, sourde et carressant les tombeaux silencieux, funèbre et pleurant des générations de morts, convenait au lieu. C'était si triste et si beau, cela venait d'un cœur si profond que plus personne, soudain, ne bougea, seulement ce chant qui saluait les bien-aimés" (p.147) "Un air vif et dansant, be-bop, un de ces airs à trompette qui galvanisent les os des jeunes gens éclata, les trompettes, les saxos et les rythmes rivalisaient d'enthousiasme" (p.203).
Aussi cités: Nat King Cole, Sinatra.

#0066 Tanguy VIEL


VIEL Tanguy, Le Black Note, 1998, Minuit
Suivez bien ! Paul, le saxophoniste, ils l'ont surnommé John à cause de John Coltrane, Georges, à la contrebasse, c'était Jimmy, et Christian, c'était devenu Elvin. Même la maison sur l'île, quand ils se sont installés ensemble pour jouer, ils ont voulu la surnommer: ils l'ont appelée Black Note. De la clinique où on l'a conduit, le narrateur et trompettiste du groupe continue de ressasser ce temps de la vie commune. Logorrhée verbale, verbiage, chapitres d'un seul paragraphe sans respirations, phrases interminables. Du jazz, mais à quel prix! Notes:(Chapitre 1) "Son nom à lui, le batteur, c'était Elvin, et l'homme à la contrebasse, Jimmy, comme Jimmy Garrison […] Pour Georges, on avait hésité longtemps avec Charlie, comme Charles Mingus […] à cause du quartette de Coltrane, alors il voulait qu'on ait les noms des musiciens du quartette, les vrais des années soixante […] on ne va quand même pas t'appeler miles comme Miles Davis. Et Paul donc, on l'avait surnommé John, comme John Coltrane, parce que Coltrane, c'était notre idole à tous. Mais aussi Paul, il jouait avec un saxophone qui avait appartenu à John Coltrane, c'est ce qu'il nous disait, le dernier saxophone dans lequel Coltrane avait soufflé […] il délirait à nouveau et se persuadait que c'était le vrai saxophone, le vrai John Coltrane qui lui avait offert […] et il s'entraînait à reprendre les morceaux de Coltrane […] ça resterait toujours impossible, parce qu'on ne reprend pas le quartette de Coltrane avec une trompette, mais avec un piano. John me demandait de me mettre au piano, il disait que si je ma mettais au piano ils pourraient me surnommer Thelonious, comme Thelonious Monk […] ils n'ont jamais voulu m'appeler Miles comme Miles Davis, ni Thelonious comme Thelonious Monk […] il disait qu'il devrait mourir bientôt, à quarante ans disait-il, pour mourir comme le vrai John Coltrane, au même age […] à mon reflet j'ai dit: toi, tu ne seras jamais Miles Davis […] le saxophone se serait vendu moins cher, si on avait retiré la plus value du fait que le saxophone avait appartenu à John Coltrane […] La même contrebasse que Jimmy Garrison, celui qui jouait avec Coltrane en 1965, mais pas la même exactement, le même modèle oui, mais pas celle avec laquelle le vrai Garrison jouait en 1965 […] Alors que John, bien sûr, il n'a jamais apporté une preuve que son saxophone avait appartenu à John Coltrane […] tu ne verras plus la ressemblance avec les instruments du vrai quartette de Coltrane. Moi, mon instrument ne volait rien, ni sonorités ni apparences, à la trompette de Miles Davis […] du fait que je ne voulais pas me mettre au piano, et que l'on ne pourrait pas reprendre les morceaux de John Coltrane […] "To spread the rythm", avait dit une fois John Coltrane en parlant d'Elvin Jones, les vrais, vois-tu, ceux des années soixante, quand Coltrane jouait My favorite things, et qu'Elvin Jones était le meilleur batteur du monde […] il n'aurait jamais supporté de déployer son rythme sur la batterie d'un autre, même quand il s'appellerait Elvin Jones où Rashied Ali […] John n'écoutait personne quand on jouait, alors il pouvait ne pas m'appeler Miles Davis, quand il n'y avait que lui qu'on entendait dehors"(Chapitre 2) "on reprendra les morceaux des années soixante, les morceaux de John Coltrane […] nous sommes le quartette de jazz de la prochaine décennie, nous sommes immortels […] avec l'impression d'être le nouveau John Coltrane […] Moi, je n'ai jamais eu de surnom, je ne me suis jamais appelé Miles […] Pour moi, c'est fini, je ne veux plus retoucher une trompette de ma vie, parce que, je le sais, je ne serai jamais Miles Davis […] Pourquoi lui il pouvait s'appeler John Coltrane en jouant de saxophone […] c'en sera fini de dire que tu l'entends reprendre les morceaux de Coltrane dans un repaire sous-marin"
(Chapitre 3) "on jouerait, moi de la trompette, toi ce que tu veux, du saxophone si tu veux, de la contrebasse, pourvu que ce soit du jazz, que je puisse t'appeler Sonny, comme Sonny Rollins, ou Duke, comme Duke Ellington. Tu prendrais le surnom que tu voudrais. Il n'y aurait pas besoin de mentir et de dire que nos instruments auraient appartenu à Sonny Rollins, ni à Duke Ellington […] personne ne peut plus savoir s'il n'était pas vraiment John Coltrane […] qu'avec le saxophone à côté de lui on dise: John Coltrane […] C'est pourquoi on ne peut pas être amis, tous les deux, on est comme les musiciens du quartette de Coltrane, comme les vrais des années soixante, ils ne peuvent pas être amis, parce qu'amis on peut se fâcher, et plus rien n'est jamais comme avant, et on oublie […] Les meilleurs jazzmen du monde, répétait John, on se donnera un nom qui deviendra aussi célèbre que le quartette de John Coltrane"
(Chapitre 4) "Il était blanc, lui qui se prenait plus que nous pour un noir américain, pour John Coltrane, quand le jazz ça l'occupait d'abord en grandes phrases"
(Chapitre 5) "Bonne surprise: il n'y en a pas !"
Damned ! J'oubliais l'exergue: "Car je meurs en ta cendre et tu vis en ma flamme" (Tristan L'Hermite) le frère de Bernard ?

#0065 Françoise SAGAN


SAGAN Françoise, Avec mon meilleur souvenir, 1984, Gallimard & Folio N°1657
Pour le texte sur Billie Holiday: "n'était pas encore pour nous la voix douloureuse et déchirée de l'Amérique noire, mais plutôt la voix voluptueuse, rauque et capricieuse du jazz à l'état pur. De Stormy weather à Strange fruits, de Body and soul à Solitude, de Jack Teagarden à Barney Bigard, de Roy Eldridge à Barney Kessel, nous avions […] pleuré à verse où ri de plaisir en l'écoutant […] Billie Holiday était morte la nuit d'avant, seule, dans un hopital, entre deux flics"

#0064 Alain GENESTAR


Premier roman d'un essayiste et journaliste spécialisé en politique. Suite à un terrible drame familial, le héros français, fasciné par l'Amérique du Nord, se rend à New York, écrit un roman à succès, puis séjourne en Arizona chez les Indiens Hopis pour chercher l'équilibre et la sérénité. L'oeuvre aborde divers milieux et sujets: le journalisme, le cinéma, l'édition, le jazz, la création littéraire, la drogue.
GENESTAR Alain, Le baraquement Américain, 1997, Grasset
Notes: "Il est impossible, du moins pour moi, d'entendre du jazz sans y superposer des images. Plus tard, j'ai privilégié la technique et l'écoute critique sur la réception passive […] libérait les images des disparus. Ils revivaient sur des airs de Miles Davis ou de Thelonious Monk. Cher Thelonious […] Le jazz seul a un langage constant et global […] Il parle à l'âme" (p.118-119) "Je commençais à me débrouiller aussi bien en anglais qu'au piano […] il fallait bien connaître sa langue, celle de Charlie Parker, de Duke Ellington, Lester Young, Billie Holiday ou Nat King Cole, dont les noms déjà étaient des mots d'anglais […] nous racontions la vie de Charlie Parker surnommé Bird […] parlions de Joe Oliver, le King de la Nouvelle Orleans, de Louis Armstrong, "Satchmo" les grosses lèvres, de Charles Mingus" (p.141-142) "Daniel Marnay, le patron de Jazz Magazine avait une connaissance encyclopédique et intime du jazz. Il pouvait en parler des heures […] Je partageais avec lui cette croyance que la musique s'explique, si toutefois elle est explicable, du moins se ressent-elle en fouillant dans l'âme de son interprète" (p.222) "Louis Armstrong venait d'être hospitalisé […] Ce n'est pas un Noir qui est en train de mourir. C'est Dieu. Et tous les amoureux du jazz savent que Dieu est Noir […] J'écris la chronique sur Armstrong à Harlem. Non. Tu pars de Harlem et tu poursuis sur les femmes. En 24, Armstrong enregistre à New York avec les plus grandes chanteuses de blues: Clara Smith, Ma Rainey, Eva Taylor, Maggie Jones et surtout Bessie Smith […] n'oublie pas: Reckless blues ou Sobbin' hearted blues" (p.223) "Je passais mes nuits au Vanguard, j'étais un habitué de tous les clubs: le Five Spot, le Blue Note, Nick's Tavern, le Minton, le très snob et très cher Birdland sur Broadway, le Small's Paradise ou le Count Basie's Bar. J'y écoutais les grands dont l'un d'eux gigantesque, Miles Davis" (p.224) Interview de Miles: "Il m'a reçu dans son duplex délirant […] J'ai aimé ton papier sur Louis en Avril, pas mal pour un Blanc […] Il ne m'a pas viré. Pourquoi ? Je ne sais pas […] J'ai vécu avec Parker à New York dans le même appartement pour tout connaître de lui J'étais dans son ombre, l'ombre du Bird […] Il n'y a qu'une seule musique Noire, elle regroupe tout […] au festival de Newport, on m'a fait un triomphe, alors j'ai dit à Coltrane: Mais qu'est-ce qu'ils ont ces cons à m'applaudir […] Je ne fusionne rien […] Il faut être Blanc et fêlé pour dire des trucs pareils. Moi, je confronte mon style à celui de Mc Laughlin et lui me répond. Comme le saxo de Coltrane me répondait. C'est tout. N'essaie pas d'expliquer cela avec tes théories à la con […] avec Charlie, on s'est défoncés à mort pendant cinq ans, et puis j'ai voulu arrêter […] couché par terre, j'ai regardé le plafond pendant douze jours […] quand je me suis relevé, c'était fini […] Charlie est mort, je ne pouvais plus jouer, puis j'ai repris ma trompette, engagé Coltrane, et les connards de Newport m'ont fait un triomphe […] Il reprit sa trompette et me fit signe de le suivre […] juste un piano en plein milieu […] Tu sais jouer ? -Mal. -On s'en fout. Donne moi la réplique […] Je connaissais par cœur The man I love, la célébre conversation entre Thelonious Monk et Miles Davis […] Je jouais et l'écoutait répondre à mes notes […] Le lendemain […] j'ai écrit l'interview pour la double page de Jazz Magazine" (p.225-235) "Miles Davis à dîner dans la Pretty Factory […] question posée par l'un d'entre eux: Pourquoi les peintres modernes sont-ils des Blancs et les jazzmen le plus souvent des Noirs? […] formulée par Miles: On peut vivre avec une trompette mais il faut des années et beaucoup de chance pour gagner de l'argent avec un pinceau […] Si un Noir peignait comme Jasper Jones, les critiques Blancs diraient que sa peinture est de l'art brut, primitif, africain" (p.249) Dans la Réserve Hopi: "Sur un phono jaune et vert acheté au General Store, je réécoutais mes vieux disques de Thelonious Monk, Crepuscule with Nellie, Charlie Parker, Now's the time, Miles Davis, So what, Bitches brew" (p.304) "La limousine s'arrêtait dans chaque village de maisons basses, Miles descendait et jouait, des Indiens s'approchaient pour l'écouter, il jouait encore pendant une heure puis les interrogeait et remontait […] C'était le plus beau concert itinérant donné à la mémoire du peuple Hopi […] Les notes montaient jusqu'à lui […] mélangeait Aranjuez et The man I love […] Sur le terrain de basket, au centre, près d'une longue voiture blanche, un homme habillé en serpent jouait, sa trompette toute droite au-dessus de lui, dressée vers le ciel" (p.316).

#0063 Robert SKINNER


Robert Skinner vit à La Nouvelle-Orléans. Il est l'auteur de dix livres dont deux études consacrées à l’œuvre de Chester Himes.
SKINNER Robert, Le problème aux yeux de chat (Cat eyed trouble), 1998, Gallimard Série Noire N°2635 / 2001, Trad. Emmanuel Jouanne
1938, La Nouvelle-Orléans. Ancien flic piégé dans une sale histoire, Israël Daggett sort du pénitencier où il a passé cinq ans à ruminer sa haine. Ça se digère mal la haine. Surtout quand la belle qui vous attend est retrouvée morte dans un canal le jour de votre sortie. Aidé par Wesley Farrell, roi des nuits de La Nouvelle-Orléans et nègre blanc aussi à l'aise dans la communauté noire que dans le haut du pavé blanc, Daggett va labourer les bas fonds d'une ville déjà passablement secouée par l'ambition d'une femme. Une belle plante étrange et vénéneuse aux yeux de chat inoubliables. Toujours plus de cadavres que de citations jazz !
Notes: "en chantant New Orleans woman d'une voix tonitruante et vaseuse" (p.11) "Dinah Shore était l'une des invitées du Breakfast Club ou elle chantait une niaiserie qui parlait d'amour […] Derrière lui, Dinah chantait gaiement quelque chose qui parlait d'argent tombé du ciel" (p.28) "en train de chanter Begin the beguine. Le schhhh doux des balais sur les caisses claires emplissait l'air comme une brise tropicale, et les clarinettes bouchées grésillaient comme des grillons (sic !)" (p.43) "en ajoutant des accents jazzy comme Margaret Whiting quand elle accompagnait Bob Eberly au chant […] Dans Rampart Street, Louis Bras et son trio suaient à grosses gouttes en soufflant du Dixieland […] était un club pour authentiques aficionados du jazz, et les visages de la foule qui ondulait et claquait des doigts" (p.49) "sous sa moustache à la Duke Ellington" (p.66) "il entendit les éclats de clarinettes énervées et les gémissements de saxophones racoleurs" (p.68) "La musique du tromboniste qui s'amusait avec le thème musical de Little brown jug" (p.99) "attaquer Nobody knows the way […] était la reine incontestée des chanteuses à voix noires de la Nouvelle Orleans" (p.151) "se mit à chanter Blue moon […] Sa version était jazzy et pleine d'improvisations, et l'orchestre la jouait sur un tempo de fox-trot […] acheva Blue moon et attaqua Deep purple sans marquer un seul temps" (p.154-155) "Lady Day qui chantait Can't help lovin' that man of mine sur le juke box" (p.170) "jouait sa version de It don't mean a thing" (p.189) "Le sextuor avait attaqué Take the A train" (p.191) "écoutait Louis Armstrong et son Hot Seven Combo sur un petit poste de radio" (p.193) "la version des Dorsey Brothers de Tangerine" (p.229) "sifflotait Chatanooga choo choo" (p.233) "Cab Calloway jouait Minnie the moocher" (p.311) "devant le Club Moulin Rouge, à écouter un solo de batterie qui s'échappait par la porte ouverte […] un contrebassiste se mit à pincer les cordes de son instrument, bientôt rejoint par un trompettiste et un clarinettiste" (p.342).

#0062 Michel LEYDIER


LEYDIER Michel, Noires américaines pour la nouvelle Watermelon man, 1997, De La Loupiote
Du jazz dans une seule nouvelle sur 18, mais la musique est partout en exergue (sous le titre de chaque nouvelle) sous la forme de quelques vers d'une chanson (malheureusement traduits en français) suivis du titre et de l'auteur. La chanson annonce vraiment parfaitement le ton et l'ambiance de la nouvelle. C'est très bien fait et, chaque courte nouvelle, entretient un vrai suspense avec une chute toujours surprenante. Celle qui nous concerne Watermelon man n'a pas beaucoup de citations mais l'ambiance est jazz.
Exergue: "Le jazz n'est pas mort, il a juste une drôle d'odeur" Frank Zappa & "J'ai vu l'aiguille et ses ravages / Un petit peu contenu dans chacune d'elle / Chaque junky est un soleil couchant" (The needle and the damage done) Neil Young.
Watermelon man: "Jimmy Brown astiquait son sax avec amour […] les gestes lents de Jimmy balayaient d'ombres furtives les affiches recouvrant les murs. Miles courbé sur sa trompette. La silhouette de Bird faisant corps avec son sax […] Les quatre Mellow Boys avaient attaqué avec Watermelon Man, un classique de Herbie Hancock"
Les titres de chansons en exergues des autres nouvelles: Stuck inside of mobile with the memphis blues again, Bob Dylan, The river, Bruce Springsteen, Alabama, Neil Young, If I can do it, so can you, Lee Clayton, Christmas card from a hooker in Minneapolis, Tom Waits, Helpless, Neil Young, Secret of the lock, Michael Chapman, Sons and daughters, Art Neville, Anyone for tennis ?, Eric Clapton, Mummy, Kevin Coyne, Hey Joe, William Roberts, Bobby Brown, Frank Zappa, How do you think it feels, Lou Reed, Sittin' on the dock of the bay, Otis Redding, Yellow moon, Aaron Neville, The boxer, Paul Simon.

#0061 Robert GOFFIN


Le poète belge Robert Goffin dont on a célébré en 1998 le centième anniversaire de la naissance, a traversé le XXème siècle. Il aura marqué son temps par son talent immense, sa personnalité hors du commun et son amour du jazz. Grand voyageur, ami des célébrités d’Europe et d’Amérique, hédoniste invétéré, ce brillant avocat a vécu hors des normes littéraires belges, tout en faisant cependant partie de …l’Académie.
GOFFIN Robert, Chroniques d'outre-chair, 1975, Guy Chambelland
A quatre-vingt ans, une vie de souvenirs et de jazz en poèmes.
Hommage à la bière: "Pale-Ale aux bulle pontificales dont Louis Armstrong disait qu'elle était l'âme du jazz"
Le dernier round: "Tous les airs de jazz dédiés aux pêches juteuses de la Géorgie / Sont moulus -du ragtime jusqu'au swing- dans le ghetto […] Diana Ross passe radioactive dans des rayons oculaires de sémaphores […] Les champions du jazz et de la danse exultent fièrement"
La foudre sans fin: "Où je retrouvais la belle chanteuse noire Billie Holiday […] Chaque nuit l'amour accélère son intensité aux barattements du jazz"
Femmes musicales (à Marc Danval): "Puis Sacha Distel m'avait restitué le geste de Ray Ventura / Avant que Dinah Shore ne couronnât cette débauche d'étoiles / Mais de tout cela je ne m'accrochai qu'au jazz inattendu / Des notes et des sons qui se cherchaient en moi -sol fa dièze fa mi […] Quand les allumeuses du fox-trot syncopé offraient leur dédale / De chair disponible sous le caban agressif d'un jazz noir / La trompette de Briggs aux lèvres de crevette cuite taillait le rythme […] Et je m'agrippe au refrain frémissant qui réincarne Billie […] Et dans ma cime d'amalgame les psaumes de Billie / Me touchent encore de leurs lasers de perdition au tranchant sournois […] Dans un mélange que le jazz avait soudé malgré le Jim-Crow […] Déjà Billie Holiday défoncée de rythme et de drogue / Est retournée à la gourmandise de l'éternité- ne laissant au monde / que ses disques tragiques qui provoquent la fièvre vaudou"
Ostende: "Mais c'est surtout quand le jazz investit Ostende que je rançonnai / Les nuits éclaboussées de femmes fatales d'enseignes lumineuses et d'alcool […] Je revois encore le Mitchell's Jazz Kings aux estrades du Helder […] A la rampe suivante Billy Smith écrasait les chiens du Wabash blues / Tandis qu'un trombone à coups lisses coulissait vers le cœur des belles […] Je revois encore Jimmy Dorsey et Georges Brunies dialoguer / Ruisselants de swing- en improvisations percutantes / En face de l'orchestre de Ted Lewis coiffé d'un tuyau de poêle […] Je conférenciai dans la grande salle débordante d'épaules nues / Alors que les trois anches enlaçaient les femmes à coups de sax-appeal […] Quand June Cole arborait la pleine lune de son souzaphone"
Le camp du drap d'or: "Toutes les nuits de jazz surnageaient au fil à plomb du désir […] Billie Holiday se soudait à mon corps entre deux voyages de marijuana"
La messe au poivre: "Enfin on dédiait les toxines du jazz à la mythologie du dollar / Le maire nègre de la ville souriait de toutes ses dents au néon / Les chœurs noirs et blancs hurlaient leurs lamentations swing […] Comment cette musique née du fond des entrailles nègres dans les bouges / Au royaume sexuel des filles au couteau et des souteneurs de Basin Street / Avait-elle -en quelques lustres- rejoint l'inattingible (sic !) clan de l'argent / Aussi fermé que la cour de louis XIV mais avec Jelly Roll pour Lully […] Que tout n'était pas perdu pour les poètes qui crèvent de faim / Puisque les évêques s'adonnent au jazz et célèbrent des messes syncopées"
Boris Vian: "Puis nous descendîmes dans la cave minuscule avec Delaunay / Pour écouter la jurisprudence rythmique de Dizzie Gillespie / Quand il sut que j'avais écrit plusieurs livres sur le jazz / Et que j'avais vécu de longs mois à la Nouvelle Orléans / Il ne s'occupa plus que de moi et nous sortîmes soudés à l'autogène […] Nous ramâmes -pélerins de l'anthracite- en évoquent Billie et Lena Horne […] Tandis que Luter accroché sans pitié à la matraque de sa clarinette / Exprimait des cîmes de Vaudou dans un délire de dérapements / Où Mogwli hoquetait entre le tuba et le tambour de Buridan […] Boris souriait aux anges de 1946 et jouait le Saint Louis blues […] Il vivait de mourir imperceptiblement de swing et d'insomnie […] Plus tard, sous l'enseigne des mains de Chittison parut Jazz 47 […] Nous voici avec Roy Eldridge au parfum des îles de la Rhumerie / Don Byas le ténor de droit divin désossait son saxophone […] Je me suis regardé pâlir dans les écluses haletantes du jazz […] Quand Lil Armstrong -héritière du génie- jouait de vieux airs / Entre Boris et moi il y avait trois cents kilomètres de longueur d'onde"
29 décembre 1926: "Où je communiais avec le pouls du tam-tam nègre de la Nouvelle Orléans / Je dactylographiais sur mon piston tout en virages les blues des haleurs […] Les Georgians cisaillaient Copenhagen ou Sweet sixteen à l'Alhambra […] Je ne passai de jour en jour au jeu de l'oie de la vie / Qu'avec le cran d'arrêt de fiancer le jazz aux métaphores de couleur"
Capitale du jazz: "Ici fut l'estrade où Bob Lyons le musicien de Bolden cira mes chaussures […] Là où Big Eye Louis Nelson me prouva que le jazz était né en 1900 […] Adieu l'orphelinat où Louis Armstrong cisailla son embouchure de cuivre […] Et sur toutes les ruines préhistoriques de mon passé en quête dejazz […] C'est là que le jazz est né du côté du bistrot de Tom Anderson […] Un peu plus loin ils ont ouvert un musée du jazz qui ne désemplit pas […] Comme il y a trente ans le jazz et l'amour fermentent dans l'ombre […] Enfin on prépare un mémorial monumental au roi du jazz Satchmo / Depuis ce matin il y a un franc belge dans les limons du Mississipi".