#0070 Michel BULTEAU


Né en 1949, Michel Bulteau publie à vingt-deux ans le Manifeste Électrique qui marqua la poésie contemporaine. Encouragé par Henri Michaux, il poursuit sa quête de poète insoumis. En 1976, il part pour New York où il rencontre les poètes beat, les peintres pop et les musiciens punk.
BULTEAU Michel, A New York au milieu des spectres, 2000, La Différence
Trois textes bien allumés parlant d'une époque encore plus allumée, celle de la beat génération.
Notes: "Avant de s'endormir, à trois heures du matin, le jazz de Harlem bouillonnant encore dans sa tête […] Tu ne m'as pas dit l'autre jour que White light était le titre d'une peinture de Pollock reproduite dans l'album Free jazz d'Ornette Coleman ? […] John Coltrane, un stéthoscope se balançant à son cou, aurait pu participer à cette jamsession de 1970 -hélas trois ans plus tôt il avait faussé compagnie à tout le monde- avec Jimi Hendrix à la guitare et Jim Morrison à la batterie et ses plaintes ressemblant aux yeux mi-clos de Bouddah, pour ravager Sunshine of your love des Cream […] Un après midi de février 89 passé à écouter une cassette de Sam Cooke. Chain gang, un des morceaux fétiches de mon adolescence. La sève brûlante de Having a party et de Twistin' the night away. Johnny se souvient du nom du guitariste: Cliff White […] Johnny a toujours préféré la version cinématographique avec Frank Sinatra au livre de Nelson Algren […] Jerry Nolan confiant que son film fétiche était Gene Krupa story avec Sal Mineo".

#0069 Sherman ALEXIE


Sherman Alexie, à trente ans, est considéré comme l'un des meilleurs écrivains de sa génération. Enfant terrible des lettres américaines, il construit une œuvre à nulle autre semblable, résolument moderne, dont Indian Blues est la parfaite illustration.
ALEXIE Sherman, Indian blues (Reservation blues), 1995, Albin Michel 1997 / ReEd. 10-18 N°3059, Trad. Michel Lederer
La légende dit qu'en 1931, le célèbre musicien noir Robert Johnson vendit son âme au Diable en échange d'une guitare enchantée et d'un talent extraordinaire pour le blues. Présumé mort depuis plus d'un demi-siècle, il réapparaît aujourd'hui sur une réserve indienne de l'Etat de Washington, à la recherche d'une vieille femme auprès de qui se sont succédé Marvin Gaye, Jimi Hendrix, et Janis Joplin. Celle-ci ne représente-t-elle pas pour lui le dernier espoir d'être libéré du pacte diabolique ? Toujours est-il qu'il finit par oublier sa guitare à bord du pick-up d'un jeune Indien qui l'a pris en stop. L'instrument magique pourrait encore faire des prodiges... C'est ainsi que naissent les "Coyotes Spring", un groupe de rock cent pour cent Indien dont l'ascension, des Réserves à Manhattan, sera fulgurante. Mais peut on jouer impunément de l'instrument diabolique ? Bien peu de jazz dans cette histoire bien sympatique. Un échantillon: "C'est une Indienne qui a inventé le blues un jour avant que Christophe Colomb débarque, et le rock'n'roll, le lendemain (sic !)" (p.161).

#0068 Emmanuel Boundzéki DONGALA


Emmanuel Boundzeki Dongala est né en 1941, de père congolais et de mère centrafricaine. Il passe son enfance et son adolescence au Congo, poursuit ses études aux Etats-Unis et en France, avant d'enseigner la chimie à l'université de Brazzaville. Lors du conflit congolais de 1997, il quitte Brazzaville avec sa famille. Grâce au soutien actif de Philip Roth, il trouve refuge aux Etats-Unis. Il est depuis professeur de littérature francophone et de chimie à l'université de Simons Rock (Boston).
DONGALA Emmanuel Boundzéki, Jazz et vin de palme, 1982, Hatier Monde Noir Poche / ReEd. Le Serpent à Plumes Motifs 2000
Dans ce recueil, deux nouvelles "Jazz et vin de palme" et "A love supreme"
Notes: Jazz et vin de palme: "La musique de John Coltrane les jetait dans un état catatonique d'abord, puis dans une sorte de nirvâna […] ce qui permettait ensuite à la musique cosmique de Sun Râ de les volatiliser" (p.122) "Des millions de disques de John Coltrane furent gravés en secret […] On traitait partout Sun Râ en roi et jamais son orchestre solaire n'eut tant de travail" (p.123) "Soudain, de partout, des maisons, de l'intérieur de la Terre, de l'Espace, éclatèrent les sonorités envoûtantes du saxophone de John Coltrane […] Alors Sun Râ mit sa fusée-orchestre en marche […] Sun Râ fut le premier homme musicien de jazz et noir à devenir président des Etats-Unis […] c'est ainsi, enfin, que le jazz conquit le monde […] John Coltrane fut canonisé par le pape sous le nom de Saint Trane. Le premier volet de son œuvre A love supreme remplaça le Gloria dans la messe catholique" (p.124-125).
A love supreme: "Quand j'arrivai de mon Afrique natale, je ne connaissais que vaguement la musique classique d'Armstrong, d'Ellington ou encore de Bessie Smith […] Je trouvais cette musique émouvante parce que nostalgique […] Quand j'avais le cafard, je me plongeais dans l'âme profonde et douloureuse de Billie Holiday ou de Ma Rainey. À l'inverse, je sautillais sur les rythmes gaillards et égrillards de Fats Waller ou de Willie Smith le lion" (p.137-138) "J. C. est mort […] J'essayai de joindre Archie Shepp qui était en France […] j'essayai en dernier ressort de joindre le poète Imamu Baraka, mais il avait quitté Newark" (p.139) "En fait, il (Coltrane) n'était pas inconnu comme il s'était plu à nous le faire croire car il avait gravé un disque avec Ellington, sans compter bien sûr les disques avec Miles et avec beaucoup d'autres grands musiciens classiques tels Johnny Hodges, Theolonius Monk (sic !), etc. Mais, pour lui, cela ne comptait pas, c'était le passé. Pour lui, la musique, comme tout art vivant, ne devait cesser de se dépasser, de se surpasser" (p.144) "petit à petit, faiblement d'abord, enflant, gonflant, surgissant et submergeant tout comme un torrent, le saxophone de J. C. émergea du chorus […] Les sons, les phrases, les harmonies, les passions, les cris s'envolaient de ce saxophone, inépuisables comme une mer en furie" (p.145-146) "J. C. était mort. Nous écoutâmes longtemps les disques que nous possédions de lui, nous sentions plus encore l'amour volcanique, pour ne pas dire cataclysmique, qui s'échappait de l'instrument de cet incroyable musicien" (p.152-153).

#0067 José André LACOUR


LACOUR Jose André, Venise en octobre, 1958, Le Cri / ReEd. Julliard
Un saxophoniste à Venise…
Notes: "Ceci est l'histoire de Bobby Saxalto, un garçon qui voulait aller à Venise en octobre. Il jouait du saxophone et c'est pourquoi on l'avait surnommé Bobby Saxalto, mais ce n'était pas son vrai nom. Il jouait merveilleusement, ses tempes se gonflaient et, de votre mémoire qui l'écoutait naissaient des songes terribles, comme lorsqu'on entendait jadis le vieux Bix Beiderbecke ou qu'on écoute, de nos jours par une nuit trempée d'étoiles et de regrets, Don Byas" (p.5) "Il suait et trépidait et il bramait Saint Louis blues ou The man I love avec la voix déchirée, rêche et trouée de Louis Armstrong, une voix tellement plus vieille que lui, une voix si lacérée par la vie, les années et la souffrance qu'on était saisi et inquiet qu'elle appartint à ce petit garçon blond et fade […] Il laissait Bobby achever seul, les yeux clos, le nez plissé au-dessus de son saxophone, la mélodie amère et angoissée qui les rassemblait tous" (p.37) "Il joua. Il jouait debout au pied du lit de Ma, sans perdre Ma de l'œil, ses tempes se gonflaient, et ses joues, il y mettait un cœur ardent et désespéré et jamais plus il ne joua Stormy weather comme ce jour-là. Jamais plus d'ailleurs, pendant des années et des années, il ne joua Stormy weather" (p.40) "Il joua merveilleusement, à vous arracher tripes, pleurs et cœur […] Vous autres spectateurs et clients et musiciens qui étiez dans cette petite boite de Pigalle, dans la fumée rougie, vous aviez le cœur fendu en regardant jouer ce garçon tremblant, à la jambe trop courte et aux tempes gonflées, si pâle mais si beau, qui oscillait dans sa musique, les yeux clos pour y sombrer et qui étouffait de tant d'amour, de tant d'espérance et de tant de chagrin. Et de votre mémoire naquirent alors des songes déchirants et terribles comme lorsqu'on entendait jadis le vieux Buddy Bolden ou que vous écoutiez, ce soir, par une nuit trempée d'étoiles et de regrets, Don Byas" (p.118-119) "J'aime tes disques. Gillespie. Charlie Parker. Charlie Parker The Bird. L'immortel Charlie Parker. Je joue du saxophone alto, comme lui, c'est pour ça qu'on m'a appelé Saxalto" (p.132) "J'ai apporté mon saxophone, chérie. Je veux jouer pour vous […] Il joua comme Charlie Parker jouait juste avant sa mort, c'est-à-dire merveilleusement. Il joua comme jouait Charlie Parker alors que les fines ombres de la mort descendaient déjà sur ses traits, à Chicago, et que Charlie s'évadait de son corps passionné, périssable" (p.144) "Il était là, se balançant lentement, jouant Saint Louis blues […] Car lorsqu'ils furent là, Saint Louis blues était devenu une marche funèbre, et ils s'arrêtèrent, le gendarme, la dame voilée et le gardien, car la musique qu'ils entendaient à présent, sourde et carressant les tombeaux silencieux, funèbre et pleurant des générations de morts, convenait au lieu. C'était si triste et si beau, cela venait d'un cœur si profond que plus personne, soudain, ne bougea, seulement ce chant qui saluait les bien-aimés" (p.147) "Un air vif et dansant, be-bop, un de ces airs à trompette qui galvanisent les os des jeunes gens éclata, les trompettes, les saxos et les rythmes rivalisaient d'enthousiasme" (p.203).
Aussi cités: Nat King Cole, Sinatra.

#0066 Tanguy VIEL


VIEL Tanguy, Le Black Note, 1998, Minuit
Suivez bien ! Paul, le saxophoniste, ils l'ont surnommé John à cause de John Coltrane, Georges, à la contrebasse, c'était Jimmy, et Christian, c'était devenu Elvin. Même la maison sur l'île, quand ils se sont installés ensemble pour jouer, ils ont voulu la surnommer: ils l'ont appelée Black Note. De la clinique où on l'a conduit, le narrateur et trompettiste du groupe continue de ressasser ce temps de la vie commune. Logorrhée verbale, verbiage, chapitres d'un seul paragraphe sans respirations, phrases interminables. Du jazz, mais à quel prix! Notes:(Chapitre 1) "Son nom à lui, le batteur, c'était Elvin, et l'homme à la contrebasse, Jimmy, comme Jimmy Garrison […] Pour Georges, on avait hésité longtemps avec Charlie, comme Charles Mingus […] à cause du quartette de Coltrane, alors il voulait qu'on ait les noms des musiciens du quartette, les vrais des années soixante […] on ne va quand même pas t'appeler miles comme Miles Davis. Et Paul donc, on l'avait surnommé John, comme John Coltrane, parce que Coltrane, c'était notre idole à tous. Mais aussi Paul, il jouait avec un saxophone qui avait appartenu à John Coltrane, c'est ce qu'il nous disait, le dernier saxophone dans lequel Coltrane avait soufflé […] il délirait à nouveau et se persuadait que c'était le vrai saxophone, le vrai John Coltrane qui lui avait offert […] et il s'entraînait à reprendre les morceaux de Coltrane […] ça resterait toujours impossible, parce qu'on ne reprend pas le quartette de Coltrane avec une trompette, mais avec un piano. John me demandait de me mettre au piano, il disait que si je ma mettais au piano ils pourraient me surnommer Thelonious, comme Thelonious Monk […] ils n'ont jamais voulu m'appeler Miles comme Miles Davis, ni Thelonious comme Thelonious Monk […] il disait qu'il devrait mourir bientôt, à quarante ans disait-il, pour mourir comme le vrai John Coltrane, au même age […] à mon reflet j'ai dit: toi, tu ne seras jamais Miles Davis […] le saxophone se serait vendu moins cher, si on avait retiré la plus value du fait que le saxophone avait appartenu à John Coltrane […] La même contrebasse que Jimmy Garrison, celui qui jouait avec Coltrane en 1965, mais pas la même exactement, le même modèle oui, mais pas celle avec laquelle le vrai Garrison jouait en 1965 […] Alors que John, bien sûr, il n'a jamais apporté une preuve que son saxophone avait appartenu à John Coltrane […] tu ne verras plus la ressemblance avec les instruments du vrai quartette de Coltrane. Moi, mon instrument ne volait rien, ni sonorités ni apparences, à la trompette de Miles Davis […] du fait que je ne voulais pas me mettre au piano, et que l'on ne pourrait pas reprendre les morceaux de John Coltrane […] "To spread the rythm", avait dit une fois John Coltrane en parlant d'Elvin Jones, les vrais, vois-tu, ceux des années soixante, quand Coltrane jouait My favorite things, et qu'Elvin Jones était le meilleur batteur du monde […] il n'aurait jamais supporté de déployer son rythme sur la batterie d'un autre, même quand il s'appellerait Elvin Jones où Rashied Ali […] John n'écoutait personne quand on jouait, alors il pouvait ne pas m'appeler Miles Davis, quand il n'y avait que lui qu'on entendait dehors"(Chapitre 2) "on reprendra les morceaux des années soixante, les morceaux de John Coltrane […] nous sommes le quartette de jazz de la prochaine décennie, nous sommes immortels […] avec l'impression d'être le nouveau John Coltrane […] Moi, je n'ai jamais eu de surnom, je ne me suis jamais appelé Miles […] Pour moi, c'est fini, je ne veux plus retoucher une trompette de ma vie, parce que, je le sais, je ne serai jamais Miles Davis […] Pourquoi lui il pouvait s'appeler John Coltrane en jouant de saxophone […] c'en sera fini de dire que tu l'entends reprendre les morceaux de Coltrane dans un repaire sous-marin"
(Chapitre 3) "on jouerait, moi de la trompette, toi ce que tu veux, du saxophone si tu veux, de la contrebasse, pourvu que ce soit du jazz, que je puisse t'appeler Sonny, comme Sonny Rollins, ou Duke, comme Duke Ellington. Tu prendrais le surnom que tu voudrais. Il n'y aurait pas besoin de mentir et de dire que nos instruments auraient appartenu à Sonny Rollins, ni à Duke Ellington […] personne ne peut plus savoir s'il n'était pas vraiment John Coltrane […] qu'avec le saxophone à côté de lui on dise: John Coltrane […] C'est pourquoi on ne peut pas être amis, tous les deux, on est comme les musiciens du quartette de Coltrane, comme les vrais des années soixante, ils ne peuvent pas être amis, parce qu'amis on peut se fâcher, et plus rien n'est jamais comme avant, et on oublie […] Les meilleurs jazzmen du monde, répétait John, on se donnera un nom qui deviendra aussi célèbre que le quartette de John Coltrane"
(Chapitre 4) "Il était blanc, lui qui se prenait plus que nous pour un noir américain, pour John Coltrane, quand le jazz ça l'occupait d'abord en grandes phrases"
(Chapitre 5) "Bonne surprise: il n'y en a pas !"
Damned ! J'oubliais l'exergue: "Car je meurs en ta cendre et tu vis en ma flamme" (Tristan L'Hermite) le frère de Bernard ?

#0065 Françoise SAGAN


SAGAN Françoise, Avec mon meilleur souvenir, 1984, Gallimard & Folio N°1657
Pour le texte sur Billie Holiday: "n'était pas encore pour nous la voix douloureuse et déchirée de l'Amérique noire, mais plutôt la voix voluptueuse, rauque et capricieuse du jazz à l'état pur. De Stormy weather à Strange fruits, de Body and soul à Solitude, de Jack Teagarden à Barney Bigard, de Roy Eldridge à Barney Kessel, nous avions […] pleuré à verse où ri de plaisir en l'écoutant […] Billie Holiday était morte la nuit d'avant, seule, dans un hopital, entre deux flics"

#0064 Alain GENESTAR


Premier roman d'un essayiste et journaliste spécialisé en politique. Suite à un terrible drame familial, le héros français, fasciné par l'Amérique du Nord, se rend à New York, écrit un roman à succès, puis séjourne en Arizona chez les Indiens Hopis pour chercher l'équilibre et la sérénité. L'oeuvre aborde divers milieux et sujets: le journalisme, le cinéma, l'édition, le jazz, la création littéraire, la drogue.
GENESTAR Alain, Le baraquement Américain, 1997, Grasset
Notes: "Il est impossible, du moins pour moi, d'entendre du jazz sans y superposer des images. Plus tard, j'ai privilégié la technique et l'écoute critique sur la réception passive […] libérait les images des disparus. Ils revivaient sur des airs de Miles Davis ou de Thelonious Monk. Cher Thelonious […] Le jazz seul a un langage constant et global […] Il parle à l'âme" (p.118-119) "Je commençais à me débrouiller aussi bien en anglais qu'au piano […] il fallait bien connaître sa langue, celle de Charlie Parker, de Duke Ellington, Lester Young, Billie Holiday ou Nat King Cole, dont les noms déjà étaient des mots d'anglais […] nous racontions la vie de Charlie Parker surnommé Bird […] parlions de Joe Oliver, le King de la Nouvelle Orleans, de Louis Armstrong, "Satchmo" les grosses lèvres, de Charles Mingus" (p.141-142) "Daniel Marnay, le patron de Jazz Magazine avait une connaissance encyclopédique et intime du jazz. Il pouvait en parler des heures […] Je partageais avec lui cette croyance que la musique s'explique, si toutefois elle est explicable, du moins se ressent-elle en fouillant dans l'âme de son interprète" (p.222) "Louis Armstrong venait d'être hospitalisé […] Ce n'est pas un Noir qui est en train de mourir. C'est Dieu. Et tous les amoureux du jazz savent que Dieu est Noir […] J'écris la chronique sur Armstrong à Harlem. Non. Tu pars de Harlem et tu poursuis sur les femmes. En 24, Armstrong enregistre à New York avec les plus grandes chanteuses de blues: Clara Smith, Ma Rainey, Eva Taylor, Maggie Jones et surtout Bessie Smith […] n'oublie pas: Reckless blues ou Sobbin' hearted blues" (p.223) "Je passais mes nuits au Vanguard, j'étais un habitué de tous les clubs: le Five Spot, le Blue Note, Nick's Tavern, le Minton, le très snob et très cher Birdland sur Broadway, le Small's Paradise ou le Count Basie's Bar. J'y écoutais les grands dont l'un d'eux gigantesque, Miles Davis" (p.224) Interview de Miles: "Il m'a reçu dans son duplex délirant […] J'ai aimé ton papier sur Louis en Avril, pas mal pour un Blanc […] Il ne m'a pas viré. Pourquoi ? Je ne sais pas […] J'ai vécu avec Parker à New York dans le même appartement pour tout connaître de lui J'étais dans son ombre, l'ombre du Bird […] Il n'y a qu'une seule musique Noire, elle regroupe tout […] au festival de Newport, on m'a fait un triomphe, alors j'ai dit à Coltrane: Mais qu'est-ce qu'ils ont ces cons à m'applaudir […] Je ne fusionne rien […] Il faut être Blanc et fêlé pour dire des trucs pareils. Moi, je confronte mon style à celui de Mc Laughlin et lui me répond. Comme le saxo de Coltrane me répondait. C'est tout. N'essaie pas d'expliquer cela avec tes théories à la con […] avec Charlie, on s'est défoncés à mort pendant cinq ans, et puis j'ai voulu arrêter […] couché par terre, j'ai regardé le plafond pendant douze jours […] quand je me suis relevé, c'était fini […] Charlie est mort, je ne pouvais plus jouer, puis j'ai repris ma trompette, engagé Coltrane, et les connards de Newport m'ont fait un triomphe […] Il reprit sa trompette et me fit signe de le suivre […] juste un piano en plein milieu […] Tu sais jouer ? -Mal. -On s'en fout. Donne moi la réplique […] Je connaissais par cœur The man I love, la célébre conversation entre Thelonious Monk et Miles Davis […] Je jouais et l'écoutait répondre à mes notes […] Le lendemain […] j'ai écrit l'interview pour la double page de Jazz Magazine" (p.225-235) "Miles Davis à dîner dans la Pretty Factory […] question posée par l'un d'entre eux: Pourquoi les peintres modernes sont-ils des Blancs et les jazzmen le plus souvent des Noirs? […] formulée par Miles: On peut vivre avec une trompette mais il faut des années et beaucoup de chance pour gagner de l'argent avec un pinceau […] Si un Noir peignait comme Jasper Jones, les critiques Blancs diraient que sa peinture est de l'art brut, primitif, africain" (p.249) Dans la Réserve Hopi: "Sur un phono jaune et vert acheté au General Store, je réécoutais mes vieux disques de Thelonious Monk, Crepuscule with Nellie, Charlie Parker, Now's the time, Miles Davis, So what, Bitches brew" (p.304) "La limousine s'arrêtait dans chaque village de maisons basses, Miles descendait et jouait, des Indiens s'approchaient pour l'écouter, il jouait encore pendant une heure puis les interrogeait et remontait […] C'était le plus beau concert itinérant donné à la mémoire du peuple Hopi […] Les notes montaient jusqu'à lui […] mélangeait Aranjuez et The man I love […] Sur le terrain de basket, au centre, près d'une longue voiture blanche, un homme habillé en serpent jouait, sa trompette toute droite au-dessus de lui, dressée vers le ciel" (p.316).

#0063 Robert SKINNER


Robert Skinner vit à La Nouvelle-Orléans. Il est l'auteur de dix livres dont deux études consacrées à l’œuvre de Chester Himes.
SKINNER Robert, Le problème aux yeux de chat (Cat eyed trouble), 1998, Gallimard Série Noire N°2635 / 2001, Trad. Emmanuel Jouanne
1938, La Nouvelle-Orléans. Ancien flic piégé dans une sale histoire, Israël Daggett sort du pénitencier où il a passé cinq ans à ruminer sa haine. Ça se digère mal la haine. Surtout quand la belle qui vous attend est retrouvée morte dans un canal le jour de votre sortie. Aidé par Wesley Farrell, roi des nuits de La Nouvelle-Orléans et nègre blanc aussi à l'aise dans la communauté noire que dans le haut du pavé blanc, Daggett va labourer les bas fonds d'une ville déjà passablement secouée par l'ambition d'une femme. Une belle plante étrange et vénéneuse aux yeux de chat inoubliables. Toujours plus de cadavres que de citations jazz !
Notes: "en chantant New Orleans woman d'une voix tonitruante et vaseuse" (p.11) "Dinah Shore était l'une des invitées du Breakfast Club ou elle chantait une niaiserie qui parlait d'amour […] Derrière lui, Dinah chantait gaiement quelque chose qui parlait d'argent tombé du ciel" (p.28) "en train de chanter Begin the beguine. Le schhhh doux des balais sur les caisses claires emplissait l'air comme une brise tropicale, et les clarinettes bouchées grésillaient comme des grillons (sic !)" (p.43) "en ajoutant des accents jazzy comme Margaret Whiting quand elle accompagnait Bob Eberly au chant […] Dans Rampart Street, Louis Bras et son trio suaient à grosses gouttes en soufflant du Dixieland […] était un club pour authentiques aficionados du jazz, et les visages de la foule qui ondulait et claquait des doigts" (p.49) "sous sa moustache à la Duke Ellington" (p.66) "il entendit les éclats de clarinettes énervées et les gémissements de saxophones racoleurs" (p.68) "La musique du tromboniste qui s'amusait avec le thème musical de Little brown jug" (p.99) "attaquer Nobody knows the way […] était la reine incontestée des chanteuses à voix noires de la Nouvelle Orleans" (p.151) "se mit à chanter Blue moon […] Sa version était jazzy et pleine d'improvisations, et l'orchestre la jouait sur un tempo de fox-trot […] acheva Blue moon et attaqua Deep purple sans marquer un seul temps" (p.154-155) "Lady Day qui chantait Can't help lovin' that man of mine sur le juke box" (p.170) "jouait sa version de It don't mean a thing" (p.189) "Le sextuor avait attaqué Take the A train" (p.191) "écoutait Louis Armstrong et son Hot Seven Combo sur un petit poste de radio" (p.193) "la version des Dorsey Brothers de Tangerine" (p.229) "sifflotait Chatanooga choo choo" (p.233) "Cab Calloway jouait Minnie the moocher" (p.311) "devant le Club Moulin Rouge, à écouter un solo de batterie qui s'échappait par la porte ouverte […] un contrebassiste se mit à pincer les cordes de son instrument, bientôt rejoint par un trompettiste et un clarinettiste" (p.342).

#0062 Michel LEYDIER


LEYDIER Michel, Noires américaines pour la nouvelle Watermelon man, 1997, De La Loupiote
Du jazz dans une seule nouvelle sur 18, mais la musique est partout en exergue (sous le titre de chaque nouvelle) sous la forme de quelques vers d'une chanson (malheureusement traduits en français) suivis du titre et de l'auteur. La chanson annonce vraiment parfaitement le ton et l'ambiance de la nouvelle. C'est très bien fait et, chaque courte nouvelle, entretient un vrai suspense avec une chute toujours surprenante. Celle qui nous concerne Watermelon man n'a pas beaucoup de citations mais l'ambiance est jazz.
Exergue: "Le jazz n'est pas mort, il a juste une drôle d'odeur" Frank Zappa & "J'ai vu l'aiguille et ses ravages / Un petit peu contenu dans chacune d'elle / Chaque junky est un soleil couchant" (The needle and the damage done) Neil Young.
Watermelon man: "Jimmy Brown astiquait son sax avec amour […] les gestes lents de Jimmy balayaient d'ombres furtives les affiches recouvrant les murs. Miles courbé sur sa trompette. La silhouette de Bird faisant corps avec son sax […] Les quatre Mellow Boys avaient attaqué avec Watermelon Man, un classique de Herbie Hancock"
Les titres de chansons en exergues des autres nouvelles: Stuck inside of mobile with the memphis blues again, Bob Dylan, The river, Bruce Springsteen, Alabama, Neil Young, If I can do it, so can you, Lee Clayton, Christmas card from a hooker in Minneapolis, Tom Waits, Helpless, Neil Young, Secret of the lock, Michael Chapman, Sons and daughters, Art Neville, Anyone for tennis ?, Eric Clapton, Mummy, Kevin Coyne, Hey Joe, William Roberts, Bobby Brown, Frank Zappa, How do you think it feels, Lou Reed, Sittin' on the dock of the bay, Otis Redding, Yellow moon, Aaron Neville, The boxer, Paul Simon.

#0061 Robert GOFFIN


Le poète belge Robert Goffin dont on a célébré en 1998 le centième anniversaire de la naissance, a traversé le XXème siècle. Il aura marqué son temps par son talent immense, sa personnalité hors du commun et son amour du jazz. Grand voyageur, ami des célébrités d’Europe et d’Amérique, hédoniste invétéré, ce brillant avocat a vécu hors des normes littéraires belges, tout en faisant cependant partie de …l’Académie.
GOFFIN Robert, Chroniques d'outre-chair, 1975, Guy Chambelland
A quatre-vingt ans, une vie de souvenirs et de jazz en poèmes.
Hommage à la bière: "Pale-Ale aux bulle pontificales dont Louis Armstrong disait qu'elle était l'âme du jazz"
Le dernier round: "Tous les airs de jazz dédiés aux pêches juteuses de la Géorgie / Sont moulus -du ragtime jusqu'au swing- dans le ghetto […] Diana Ross passe radioactive dans des rayons oculaires de sémaphores […] Les champions du jazz et de la danse exultent fièrement"
La foudre sans fin: "Où je retrouvais la belle chanteuse noire Billie Holiday […] Chaque nuit l'amour accélère son intensité aux barattements du jazz"
Femmes musicales (à Marc Danval): "Puis Sacha Distel m'avait restitué le geste de Ray Ventura / Avant que Dinah Shore ne couronnât cette débauche d'étoiles / Mais de tout cela je ne m'accrochai qu'au jazz inattendu / Des notes et des sons qui se cherchaient en moi -sol fa dièze fa mi […] Quand les allumeuses du fox-trot syncopé offraient leur dédale / De chair disponible sous le caban agressif d'un jazz noir / La trompette de Briggs aux lèvres de crevette cuite taillait le rythme […] Et je m'agrippe au refrain frémissant qui réincarne Billie […] Et dans ma cime d'amalgame les psaumes de Billie / Me touchent encore de leurs lasers de perdition au tranchant sournois […] Dans un mélange que le jazz avait soudé malgré le Jim-Crow […] Déjà Billie Holiday défoncée de rythme et de drogue / Est retournée à la gourmandise de l'éternité- ne laissant au monde / que ses disques tragiques qui provoquent la fièvre vaudou"
Ostende: "Mais c'est surtout quand le jazz investit Ostende que je rançonnai / Les nuits éclaboussées de femmes fatales d'enseignes lumineuses et d'alcool […] Je revois encore le Mitchell's Jazz Kings aux estrades du Helder […] A la rampe suivante Billy Smith écrasait les chiens du Wabash blues / Tandis qu'un trombone à coups lisses coulissait vers le cœur des belles […] Je revois encore Jimmy Dorsey et Georges Brunies dialoguer / Ruisselants de swing- en improvisations percutantes / En face de l'orchestre de Ted Lewis coiffé d'un tuyau de poêle […] Je conférenciai dans la grande salle débordante d'épaules nues / Alors que les trois anches enlaçaient les femmes à coups de sax-appeal […] Quand June Cole arborait la pleine lune de son souzaphone"
Le camp du drap d'or: "Toutes les nuits de jazz surnageaient au fil à plomb du désir […] Billie Holiday se soudait à mon corps entre deux voyages de marijuana"
La messe au poivre: "Enfin on dédiait les toxines du jazz à la mythologie du dollar / Le maire nègre de la ville souriait de toutes ses dents au néon / Les chœurs noirs et blancs hurlaient leurs lamentations swing […] Comment cette musique née du fond des entrailles nègres dans les bouges / Au royaume sexuel des filles au couteau et des souteneurs de Basin Street / Avait-elle -en quelques lustres- rejoint l'inattingible (sic !) clan de l'argent / Aussi fermé que la cour de louis XIV mais avec Jelly Roll pour Lully […] Que tout n'était pas perdu pour les poètes qui crèvent de faim / Puisque les évêques s'adonnent au jazz et célèbrent des messes syncopées"
Boris Vian: "Puis nous descendîmes dans la cave minuscule avec Delaunay / Pour écouter la jurisprudence rythmique de Dizzie Gillespie / Quand il sut que j'avais écrit plusieurs livres sur le jazz / Et que j'avais vécu de longs mois à la Nouvelle Orléans / Il ne s'occupa plus que de moi et nous sortîmes soudés à l'autogène […] Nous ramâmes -pélerins de l'anthracite- en évoquent Billie et Lena Horne […] Tandis que Luter accroché sans pitié à la matraque de sa clarinette / Exprimait des cîmes de Vaudou dans un délire de dérapements / Où Mogwli hoquetait entre le tuba et le tambour de Buridan […] Boris souriait aux anges de 1946 et jouait le Saint Louis blues […] Il vivait de mourir imperceptiblement de swing et d'insomnie […] Plus tard, sous l'enseigne des mains de Chittison parut Jazz 47 […] Nous voici avec Roy Eldridge au parfum des îles de la Rhumerie / Don Byas le ténor de droit divin désossait son saxophone […] Je me suis regardé pâlir dans les écluses haletantes du jazz […] Quand Lil Armstrong -héritière du génie- jouait de vieux airs / Entre Boris et moi il y avait trois cents kilomètres de longueur d'onde"
29 décembre 1926: "Où je communiais avec le pouls du tam-tam nègre de la Nouvelle Orléans / Je dactylographiais sur mon piston tout en virages les blues des haleurs […] Les Georgians cisaillaient Copenhagen ou Sweet sixteen à l'Alhambra […] Je ne passai de jour en jour au jeu de l'oie de la vie / Qu'avec le cran d'arrêt de fiancer le jazz aux métaphores de couleur"
Capitale du jazz: "Ici fut l'estrade où Bob Lyons le musicien de Bolden cira mes chaussures […] Là où Big Eye Louis Nelson me prouva que le jazz était né en 1900 […] Adieu l'orphelinat où Louis Armstrong cisailla son embouchure de cuivre […] Et sur toutes les ruines préhistoriques de mon passé en quête dejazz […] C'est là que le jazz est né du côté du bistrot de Tom Anderson […] Un peu plus loin ils ont ouvert un musée du jazz qui ne désemplit pas […] Comme il y a trente ans le jazz et l'amour fermentent dans l'ombre […] Enfin on prépare un mémorial monumental au roi du jazz Satchmo / Depuis ce matin il y a un franc belge dans les limons du Mississipi".

#0060 Mongo BETI


Mongo Beti est né au Cameroun. Agrégé de lettres, il a longtemps enseigné à Rouen. Depuis 1994, il est retourné vivre à Yaoundé ou il tient la "Librairie des peuples noirs".
Journaliste politique dans une capitale africaine, Zam traverse l'enfer de l'existence avec l'élégance de ceux qui abusent de l'alcool et du jazz. Il ne dérange personne. Alors, pourquoi lui voler sa collection de CD de jazz ?
BETI Mongo, Trop de soleil tue l'amour, 1999, Julliard
Notes: "Vol de Cd […] Il y avait là, je cite en vrac, Charlie Christian, From swing to bop […] Armstrong, The sunny side of the street […] Illinois Jacquet, Flying home […] Duke, It don't mean a thing avec Ivy Anderson […] Parker, Parker's mood et A Night in tunisia […] le Count, Tickle toe […] Buddy Tate, Mack the knife […] Four Brothers, Early autumn […] John Guarnieri, Autumn leaves […] Lady Day, Traveling all alone […] Clifford Brown, Jordu avec Max Roach […] Sonny Rollins, Saint Thomas […] Ella, Take the A train […] Bessie Smith, John Coltrane, Stan Getz, Miles Davis, Charles Mingus, Art Blackey & Messengers […] Surtout King Oliver, Deeper mouth blues […] il y avait même le Prez" (p.8-9) "regarde les Lester Young / Teddy Wilson, il y en a un avec une liste d'enregistrements commençant par All of me, comportant aussi, trois plages plus bas, Just you, just me. J'ai malheureusement oublié le label" (p.10) "C'était Deeper mouth blues, par Joe King Oliver […] C'est pour ainsi dire la première fois qu'on a joué du vrai jazz." (p.13) "C'est comme dans le blues, deux ou trois petites notes, un verre de gin, et c'est parti I went down to Saint James infirmary […] Comme beaucoup de jeunes paumés africains immigrés en Europe à l'époque, Eddie avait un moment tâté de la musique de jazz à Saint-Germain-des-Prés […] Il s'était découvert une idole en la personne du saxophoniste ténor de Harlem Eddie Lockjaw Davis"(p.42-43) "L'histoire que racontait le Prez dans Blue Lester ou Shoe shine boy, c'était exactement la mienne. La première fois que j'ai entendu These foolish things, j'ai pensé mourir ! As-tu entendu les chorus que Lester enfile à la suite dans Love me or leave me ?"(p.44-45) "Miles Davis et Charlie Parker jouant ensemble Round midnight, Miles à la trompette, rien d'étonnant, mais Charlie au saxophone ténor, circonstance quasiment sans précédent" (p.139) "Un jour, j'acquiers un disque intitulé Memorial Lester Young […] Je suis tout de suite accroché par l'interprétation par cet homme génial d'un thème très connu, Tea for two […] je suis bouleversé par une improvisation qui ne m'avait pas frappé jusque là […] c'était These foolish things" (p.153) "On dirait un blues de Sonny Boy Williamson. Eddie se mit aussitôt à chanter à la manière de ce musicien (le deuxième du nom, le pseudo, pas le vrai), mais sur l'air de Back o'town blues" (p.158) "des temps très forts ponctuaient à intervalles irréguliers des temps très faibles, à peine audibles, sur un fond de raclement, comme un solo de Kenny Clarke" (p.233) "Zam entendit presque instantanément le whisky glouglouter comme un boogie-woogie de Pine Top Smith" (p.235).

#0059 Fannie FLAGG


Fannie Flagg est née en Alabama. Productrice à succès de la télévision, elle est également comédienne. Dès sa parution aux Etats-Unis, "Beignets de tomates vertes" a battu tous les records de ventes... C'est une chronique du Sud profond de 1929 à 1988. Humour et nostalgie...
FLAGG Fannie, Beignets de tomates vertes (Fried green tomatoes at the Whistle Stop Cafe), 1987, J'ai Lu 1992, Trad. Philippe Rouard

Notes: "La voix de Bessie Smith domina un bref instant le brouhaha d'une plainte fugitive qui arracha un frisson à Artis. Oh, careless love … Oh, careless love … Les cuivres du jazz se mêlaient aux voix du blues quand il passa devant le Frolic Theatre, tenu dans tout le Sud pour être la plus belle salle de spectacles pour Noirs, on y donnait les meilleurs comédies musicales. Et Artis continuait d'avancer. Plus loin, Ethel Waters chantait What did I do to be so black and blue ? tandis que de l'autre côté de l'avenue, Ma Rainey lançait d'une voix bouleversante Hey, jailor, tell me what have I done ?. Et au Silver Moon Blue Note Club, le Red Hot Pepper Stomp d'Art Tatum entraînait les danseurs dans des shimmy-sham-shimmys endiablés" (p.147-148) "Black and tan fantasy, de Duke Ellington, est la dernière merveille sortie de chez Decca" (p.266) "Et puis la minceur des cloisons vous permettait d'écouter la radio ou le phonographe des voisins, et quand Bessie Smith chantait Je suis seule ce soir, tout le monde, dans Tin Top Alley, était désolé pour elle" (p.316) "Quand M'ma Threadgoode est morte, toutes les femmes de Troutville se sont rassemblées dans le jardin devant la fenêtre et se sont mises à chanter un de leurs négro spirituals, When I get to heaven, I'm gonna seat down and rest awhile. Je n'oublierai jamais ça. Vous n'avez jamais entendu chanter comme ça, j'en ai la chair de poule rien que d'y penser" (p.331) "Ils prendraient le tramway pour aller au Tuxedo Junction, où Count Basie -ou bien Cab Calloway ? était à l'affiche" (p.435).

#0058 Boris VIAN


Avec les scénarios: Le devin (1941-42), Un homme comme les autres (1941-42), La photo envoyée (1941-42), Notre Faust (ou Le vélo-xTai, 1942), Trop sérieux s'abstenir (1942), Histoire naturelle (ou Le marché noir, 1945), Zoneilles (1947), Marie-toi (1950-53), Avant-projet de scénario (1953), Le cow-boy de Normandie (1953), Le baron Annibal (1954), L'auto-stoppeur (1955), Tous les péchés de la terre (ou L'accident, 1956), Rue des ravissantes (1957), Fiesta (1958), De quoi je me mêle (1958), Strip-tease (1958), Faites-moi chanter (1958), J'irai cracher sur vos tombes (1959).
VIAN Boris, Notre Faust @ Rue des ravissantes & 18 autres scénarios cinématographiques, 1941-1959, Bourgois 1989
Notre Faust (ou Le vélo-xTai): "Tu sais qu'elle ne jure que par le jazz. -Je dois t'avouer, dit Pat en baissant le nez, que depuis six mois j'ai acheté une trompette de jazz et que je prends des leçons […] Il y aura comme guitariste Chaput et les trois autres ont déjà fait tous les tournois de jazz […] Ils entendirent une note sortie du gosier d'une trompette, note tenue, suraigüe, étincelante […] Un stomp allègre dont les notes cuivrées s'égrenaient, magnifiquement soutenues per un fond de contrebasse, guitare, piano et batterie […] Quelques brefs éclats du cuivre et du saxo, et un fox irrésistible entraînait dans un mouvement rythmé […] Venez répéter au Hot Club avec nous. C'est sympa, vous y trouverez Ekyan, Chiboust et les autres […] Jacques, rue Chaptal, attendit dans la discothèque […] C'était Joseph Reinhardt qui entrait. Jacques écoutait un disque de la collection du HCF. Delaunay, assis à son bureau […] Pat détaillait les premières mesures d'un air léger mis à la mode récemment par le quintette, et les cinq se perdaient dans une improvisation magistrale […] Tenez, dit Delaunay, en tendant un saxo à Pat […] Pat exécuta un contrechant magnifique au solo de Barelli. La batterie s'était déchaînée et dans la petite cave […] Spectateurs qui oscillaient, possédés par le swing terrifiant qui émanait du jeu de Pat. Le morceau allait se terminer, trompette et saxo, quand débuta un chorus de clarinette. Rostaing était arrivé, accompagné de (illisible) qui prit le chorus d'après sur son saxo ténor et ils finirent l'air dans un mouvement puissant, sous les applaudissements […] Pour la première fois en France, l'orchestre de Pat du Mont va jouer pour vous quelques morceaux de jazz. Tout d'abord, voici En swinguant à Pleyel. Le morceau, excellent, comporta un solo de trompette de Pat […] Dans le morceau suivant, après un éclatant début de l'orchestre, on pouvait entendre une série de solos de Pat, séparés par des breaks de batterie destinés à lui permettre de changer d'instrument […] Les vieux vendeurs de programmes eux-mêmes s'agitaient, frénétiques, emportés par le démon du swing […] Avec cinq donzelles des plus swing".

#0057 Margaret WALKER


Margaret Walker est l'arrière petite fille de Vyry, son héroïne, esclave noire de Georgie. Professeur de lettres à Jackson, Mississipi, elle a achevé ce livre un siècle exactement après la date de l'émancipation de son ancêtre.
Comme dans presque tous les romans, et ils sont nombreux, qui ont pour personnages les Noirs et pour cadre le Sud au temps de l'esclavage, il sera mention de chants et de cantiques. Surtout des cantiques. Car dans les familles ayant de la religion, le blues était banni.
WALKER Margaret, Jubilee (Jubilee), 1966, Seuil 1968, Trad. Jean-Michel Jasienko
Notes: "A l'occasion de ces réunions, tous chantaient en cœur des chants magnifiques, des chants pleins de ferveur, qui faisaient sur Vyry une profonde impression et qu'elle essayait de retenir dans sa mémoire, pour pouvoir se les chanter à tous moments" (p.48) "Tante Sally aimait chanter aux réunions de l'Eglise de la Résurrection, et elle chantait parfois après le travail, surtout par les beaux soirs d'été" (p.74) "Plus tard, les esclaves se réunirent devant la maison pour la prière et chantèrent des cantiques à l'intention des invités" (p.112) "Alors les nègres chantèrent leurs cantiques de Noël" (p.138) "Les esclaves avaient organisé une grande fête, on entendait les violons et le banjo, quelqu'un chantait Oh Sally vient par ici, oh Sally vient par là, tous reprenaient en chœur au refrain" (p.139) "La partie musicale fut assurée par un chœur blanc, en tuniques noires, qui chanta des cantiques, un chœur d'esclaves, qui chantèrent des spirituals , une soliste blanche, qui chanta Prends ton vol comme l'oiseau, et un violoniste noir, qui gratta des notes plaintives au-dessus de la fosse" (p.187) "Parfois, en travaillant, Vyry se surprenait à chanter. Quand ils l'entendaient chanter, les enfants s'arrêtaient de jouer et s'approchaient d'elle, car ils aimaient ces chants -les vieux cantiques des esclaves que chantait tante Sally et aussi les tendres et gracieuses romances du temps de la guerre" (p.282) "Vyry revivait le culte auquel elle venait de participer. Elle entendait les chants, le sermon, les témoignages émouvants. Elle éprouvait la joie intense du dernier cantique de la soirée" (p.360).

#0056 Dominique ZAY


ZAY Dominique, Dingue de swing, 1989, Fleuve Noir
Un trompettiste de jazz ne devrait jamais jouer les détectives. Après il faut improviser pour sauver sa peau…Lecture facile. L'intrigue policière est légère mais ce n'est pas le principal pour le lecteur amateur de jazz. Le plus amusant, c'est la distribution. Chet, le héros trompettiste qui finit par jouer My funny Valentine est témoin d'un meurtre. Il est poursuivi par les méchants Brownie et les frères Brecker, Randy et Mickey, qui travaillent pour le satanique professeur Roy Hubbard. Il y a un mac qui s'appelle Terry. L'inspecteur principal Navarro essaye de résoudre l'affaire mais il a, comme adjoint un ripoux Kinney. Chet se fait aider par son ami Quincy (un malin), fils de Fats et époux d'Anita. Un gars qui s'appelle Cozy et que l'on ne voit pas (sa femme martèle la porte métallique de sa baraque). Une salope, Helena Shavers. Max, un batteur. Dans un club, Sarah Bowie chante The man I love, accompagnée par Oscar le contrebassiste et Harold le ténor. Le barman est un brave gars qui s'appelle Tadd.
Bon, vous devez connaître tout le monde maintenant. Ah oui, tout ce petit monde se tasse dans 180 pages divisées en 4: Intro, Thème, Solo et Final. C'est bien de jazz qu'il s'agit et, malgré les quelques coups de feu tirés au fil des pages, cela ressemble bien à un règlement de comptes entre souffleurs !
Autre musiciens cités pour la bande son: Gerry Mulligan, Miles Davis, Dinah Washington, Satchmo, Lester Young, Zoot Sims, Billie Holiday, Sonny Rollins, Bird, Chico, Count Basie, John Coltrane, Duke, Herbie Hancock.

#0055 Tony CARTANO


CARTANO Tony, American boulevard. De Washington à Los Angeles par la route du Sud, 1992, Julliard
Notes: "Entre deux averses orageuses, des jazzmen noirs du cru jouent en quintette sur une estrade dressée dans Forsyth Park […] Entre les solos de saxo tenor et de trompette, loin dans le ciel gris, retentit le tonnerre. Le riff du batteur en parut ridicule, mais l'orchestre sympathique ne s'en laissait pas conter, swinguant de plus belle" (p.51-52) "Dynamisée par son clin d'œil ironique au public surchauffé, Joyce Cobb agrippe le micro d'une main, son harmonica de l'autre, et se lance dans un grass-root blues endiablé. Le solide quartet du King's Palace Cafe Orchestra soutient le swing étonnant de la chanteuse noire […] Jusqu'ici, Joyce et ses musiciens se sont permis d'intercaler, de temps à autre, un ou deux standards de variété au milieu des classiques du jazz […] A des qualités vocales à la Sarah Vaughan, Joyce Cooper associe un tempérament digne d'Aretha Franklin. Le ton monte, s'accélèrent les syncopes d'un rhythm & blues sacrément efficace […] Depuis longtemps, dès les années 1900, Memphis et Beale Street sont au cœur de l'histoire du blues et du jazz. (Paroles, en français, de Beale Street blues) Ainsi s'exprimait W.C. Handy (1873-1958), le Père du Blues […] De nombreux bluesmen, et non des moindres, connurent cette situation, Memphis Slim, Big Joe Williams, John Lee Hooker, ou B. B. King qui vient, d'ailleurs, d'ouvrir un club dans Beale Street" (p.69-70) "Le Peabody […] La belle époque ou les clients s'appelaient William Faulkner, Paul Whiteman (le chef d'orchestre et compositeur), ou Dorothy Lamour lors du tournage à Memphis du film Saint Louis blues en 1939. Les orchestres de Tommy Dorsey et de Harry James créent le fond sonore […] Du jazz blanc, interprété par des blancs, pour des blancs" (p.80) "Clarksdale, lieu mythique où est né le blues, le chant profond du Delta! […] John Lee Hooker, Ike Turner, Little Junior Parker, Sam Cooke et j'en passe, sont tous nés à Clarksdale. Le célèbre Muddy Waters y brûla sa jeunesse, avant de monter à Chicago […] The Stackhouse, Delta Record Mart […] Jim O'Neal […] Rooster Blues […] Living Blues Magazine […] Les Delta Cats seront au Blue Diamond […] Booba Barnes and The Playboys, des enfants de Clarksdale, sous le label Rooster. Et le plus extraordinaire disque de blues que j'aie entendu depuis longtemps: Midnight prowler de Frank Frost, sous la marque Earwig […] Un juke box se met à hurler une marche swinguée de Glenn Miller, bien blanche et militaire. Des fois qu'on confonde! […] La conclusion, je serais tenté de la donner à Big Jack Jackson dit The oil man, qui chante le blues dans les juke-joints de Clarksdale: "C'est pas si pire qu'avant. Le blues est devenu moins triste." Et d'enchaîner aussitôt sur un couplet à propos de la guerre du Golfe. A fendre l'âme […] Le génie des créateurs locaux, de Faulkner à Eudora Welty pour la littérature, ou de Muddy Waters à B. B. King pour la musique […] Grièvement blessée, la grande chanteuse Bessie Smith est transportée à l'hôpital de Clarksdale où elle mourra […] Dans les années 60, le dramaturge américain Edward Albee tira une pièce de ce drame: La Mort De Bessie Smith […] Dans Blue Spirit blues, Bessie Smith chantait: Now it's ashes to ashes, sweet papa, dust to dust, / I said ashes to ashes, I mean dust to dust / Now show me the man any woman can trust" (p.93-98) "Un saxo jouait Stormy weather sur le trottoir […] Leur style, un mélange de la poésie inspirée par l'expérience des Noirs américains à l'époque de Martin Luther King Jr. et d'improvisation jazzy à la Ornette Coleman ou Don Cherry" (p.186-187).

#0054 Charlotte CARTER


Poète afro-américain, Charlotte Carter vit à New York et enseigne la création littéraire à Rutgers University. Elle participe à des revues et travaille comme correctrice dans une maison d'édition. Elle a vécu à Chicago, au Canada, en Afrique du Nord et en France. Elle est passionnée depuis toujours par la littérature policière
CARTER Charlotte, A la baguette (Drumsticks), 2000, Bourgois Policiers 2000, Trad. Michel Doury
D'abord, tous les chapitres ont des titres de standards jazz. Puis, c'est une histoire policière qui finit bien pour notre héroine Nanette, jeune saxophoniste noire.
Notes: "D'un ton agressif, j'ai demandé: -Qui a dit du mal de Charlie Rouse ? Bon Dieu, je ferai la peau au premier qui dira du mal de Charlie Rouse !" (p.7) "Voilà qui ne m'était jamais venu à l'idée, The topless lady saxophonist. Je serais certaine d'avoir ma place dans les annales du jazz" (p.16) "J'ai préparé le diner en écoutant le Lady Day / Lester Young que je préfère, et j'ai repassé This year's kisses deux ou trois fois" (p.23) "Un vieux monsieur bien propre apparemment porté sur le martini m'a fait jouer Save your love for me trois fois de suite" (p.28) "Pas du tout le style des clubs enfumés où Monk, Charlie Rouse, Art Tatum ou Max Roach (ajoutez le nom qu'il vous plaira) ont accédé à la gloire" (p.35) "J'ai attaqué avec Blue gardenia […] J'ai enchainé avec Gone with the wind et Street of dreams […] J'ai joué What's new, Just friends, Prelude to a kiss […] Elle voulait On the street where you live […] J'ai joué Imagination pendant qu'il s'occupait de deux clients, et quand j'ai attaqué Out of this world, il a applaudi" (p.60-61) "J'ai fini par lui raconter que je jouais du saxophone dans la rue, ce que bien entendu mon papa et ma maman ignoraient" (p.105) "Huit lamentations d'Abbey Lincoln, avec un bouleversant Love for sale" (p.126) "Mon café à la main, j'ai écouté Charlie Rouse dans Japanese folk song. Je me suis dit que j'allais changer le CD avant d'en arriver à l'hymne Blessed assurance (encore que sur l'étiquette on lise This is my story, This is my song) […] Et il faudrait davantage de courage que pour simplement entendre This is my story, ou I'll be seeing you, ou encore We'll be together again" (p.137) "J'ai eu droit à une version débile de Laura, puis à un pot-pourri du malheureux Jo Stafford (sic ! Je ne savais pas que c'était un homme! C'est bien imité !), ensuite aux Ray Coniff Singers dans Dontcha go 'way mad" (p.183) "Le CD qui m'obsédait à l'époque, Jimmy Scott. Il était vieux maintenant et cette voix étrange et surnaturelle le montrait assez. Il avait consacré son talent à un bizarre répertoire -comme Sorry d'Elton John." (p.244).
Aussi cités: Nancy Wilson, Stevie Wonder, Johnny Cash, Clifford Brown, Sarah Vaughan, Whitney Houston, Della Reese, Sammy Davis, Harry Belafonte, John Coltrane, Edith Piaf, Wynton Marsalis, Thelonious Monk, Big Mama Thornton, Fats Domino, Johnny Ace, Irma Thomas, Etta James, Rolling Stones, Barry White, Dexter Gordon.
Special Littérature et Jazz: "Emprunté à la bibliothèque une anthologie de Langston Hughes et une petite édition reliée en cuir de Cane, par Jean Toomer." (p.87).

#0053 Josef SKVORECKY


Recueil d'essais publiés par JS avant son départ de Tchécoslovaquie en 1968 : Je suis né à Nachod, Comment j'ai appris l'allemand et plus tard l'anglais, Lire en liberté, Red music, Le camarade joueur de jazz, et un Interview à Prague. L'auteur raconte les moments les plus noirs de l'histoire de ce siècle par la chronique d'un petit peuple d'Europe Centrale. Il raconte aussi sa passion du jazz qui le soutient face aux événements. Une autobiographie suivie d'une interview à Prague en 1968. Le jazz est particulièrement présent dans les chapitres: Comment j'ai appris l'anglais, Red music et dans l'interview.

SKVORECKY Josef, Le camarade joueur de jazz (Talkin' Moscow blues), 1988, Anatolia 1996 / ReEd. 10-18 N°3078, Trad. Philippe Blanchard
Comment j'ai appris l'anglais: "J'entendais les saxophones de Chick Webb et je compris en un instant le sens de l'expression "musique des sphères". J'entendais également une voix magnifique qui s'élevait au dessus des saxophones, et qui chantait dans la langue des cow-boys. J'écoutai attentivement. Je compris la première phrase: I've got a guy. La deuxième était plus difficile, et elle semblait contenir une erreur grammaticale: He don't dress me in sable […] la troisième phrase: He looks nothing like Gable […] vint une phrase facile: But he's mine […] j'ignorais alors que c'était Ella Fitzgerald, car, à cette époque, on ne s'intéressait pas au chanteur, ce qui comptait c'était le groupe dont le nom était sur l'étiquette […] A nouveau la phrase compréhensible: I've got a guy, puis When he starts into je ne sais quoi, Bet me ? Beat me ? Bit me ? Le sens du mot petting était inconnu en Bohême"
Red music: "je jouai du saxophone ténor […] Et quoi qu'en dise Leroi Jones, l'essence de cette musique, de cette façon de faire de la musique, n'est pas simplement la contestation. C'est quelque chose de bien plus fondamental: un élan vital, un puissant enthousiasme, une explosion d'énergie créatrice, époustouflante comme toute forme d'art authentique, que l'on ressent jusque dans le plus triste des blues […] Fondamentalement, nous aimions cette musique que nous appelions jazz, et qui était en fait du swing, l'enfant métissé de Chicago et de la Nouvelle Orleans […] ce vieux 78 tours Brunswick qui tournait sur un phonographe à manivelle, avec son étiquette ou on lisait à peine: I've got a guy, Chick Webb And His Orchestra With Vocal Chorus […] chanteuse inconnue […] il s'agissait de la grande Ella Fitzgerald, alors âgée de dix-sept ans […] Il y avait même un orchestre de jazz à Buchenwald, composé essentiellement de prisonniers tchèques et français. Cette époque ajoutait l'absurde à la cruauté: on était envoyé derrière les barbelés au nom même de la musique que l'on jouait dans leur enceinte […] Nous étions persuadés que Casa Loma était le nom d'un chef d'orchestre américain, un homme de la taille de Jimmy Lunceford, Chick Webb, Andy Kirk, le duc d'Ellington (Ellington avait rejoint la noblesse grâce à un traducteur tchèque qui avait trouvé son nom dans un roman américain et qui avait conclu qu'il devait s'agir d'un membre de l'aristocratie anglaise réduit par la pauvreté à gagner sa vie comme chef d'orchestre au Cotton Club), Count Basie, Louis Armstrong, Tommy Dorsey, Benny Goodman, Glenn Miller -vous n'en trouverez pas un que nous ne connaissions. Et pourtant, nous ignorions tout […] Il y avait un film suédois […] Swing it, magistern ! […] Nous tombâmes tous amoureux de la chanteuse […] Alice Babs Nielsson […] beaucoup plus tard, elle enregistra un disque avec Duke Ellington […] copie du film Sun valley serenade […] J'étais imperméable à l'intrigue hollywoodienne, mais hypnotisé par Glenn Miller […] la bande son de In the mood où Chattanooga choo choo […] A la place de Kenton, ils poussèrent Paul Robeson, comme nous le haïssions, cet apôtre noir qui acceptait de donner des récitals en plein air à Prague ! […] Nous montâmes une revue intitulée Really the blues (titre emprunté à Mezz Mezzrow) […] les années soixante virent se multiplier les festivals internationaux de jazz financés par le gouvernement. La scène du Lucerna de Prague résonna des notes de Don Cherry, du modern Jazz Quartet et de Ted Curson […] Le jazz, ce n'est pas de la musique. C'est l'amour de la jeunesse qui reste solidement ancré dans l'âme, à jamais inaltérable, tandis que la musique évolue, c'est l'appel éternel des saxophones de Jimmy Lunceford […] pour moi, le Duke est parti, Count Basie survit difficilement à une crise cardiaque, Little Jimmy Rushing s'en est allé où va toute chair anybody asks you -who it was sang this song, -tell them it was -he's been there and gone. Telle est l'épitaphe des petits Five-by-Five. Telle est l'épitaphe que je souhaite à mes livres".
Interview: Pas de citations mais une réponse émouvante à la question: Votre relation avec le jazz est, bien entendu, très particulière ? "Je vais vous dire: parfois, il m'arrive de me sentir seul et, soudain, j'entends du jazz, et c'est comme si on venait de me faire une piqûre d'un stimulant très puissant. Ce n'est pas seulement une question d'esthétique. Le jazz va plus profond; c'est une force psychologique, une merveilleuse force qui me donne de la joie et qui colore toute ma vie affective. C'est une source de plaisir sans fin, un des éléments de ma vie que le temps n'a pas détruit. Je ne suis pas collectionneur, je ne me mets pas dans un coin pour écouter des disques. Je ne pourrai probablement pas répondre correctement à une seule question d'un jeu sur le jazz. Mais j'aime cette musique anonyme. Récemment, je me suis aperçu que je n'avais pas écrit un seul livre dans lequel le jazz ne joue pas un rôle. Le jazz, et tout ce qu'il représente, est pour moi, une des clés de l'entreprise humaine. Il y a également d'autres courants qui entrent dans mon attitude vis à vis du jazz - des souvenirs du temps de la guerre, le rôle qu'il joua pour nous durant ces lugubres années, le fait qu'il était plus ou moins interdit, mais tout cela n'a que peu d'importance. Le jazz est, par dessus tout, une sorte de fraternité".
Voir aussi du même auteur #0015 "Le saxophone basse et autres nouvelles" en cliquant ICI.

#0052 Dominique RENAUD


Né en 1961, Renaud a publié en 1995 un premier polar "Mort à l'appel".
RENAUD Dominique, Etat d'arme, 1998, Hors Commerce Hors Noir
Notes: "Il mit une pièce dans la fente du juke-box, sélectionna un tube de Ray Charles. Il n'avait pas vraiment le choix, et il voulait écouter du jazz. Le jazz, Renucci aimait. Un jour, alors qu'il était môme, son frère lui avait fait écouter Mazz Mazzrow (sic !) sur un phono et ça avait fait tilt dans ses oreilles de gamin. Il s'était alors trouvé un vieux tuyau chez un retraité de la fanfare puis chauffé les doigts en s'entraînant la nuit dans un sous-sol désaffecté en compagnie d'un groupe qui faisait le bœuf le samedi soir" (p.10) "C'est lui qui le premier lui avait fait connaître Thelonious Monk à une époque ou Coleman ne jurait que par Ray Charles et Nat King Cole. Pour l'inspecteur, ç'avait (sic !) été un choc, quelque chose de comparable à ceux qui, dans les années 40, découvraient le son du Bird en se demandant si il ne s'agissait pas d'un extra-terrestre" (p.24) "Le batteur donna le signal. Le quartet commença sur Cherokee, un standard, Renucci semblait aux anges. Il adorait ce thème des années 40 qu'il avait écouté la première fois interprété par Clifford Brown. Les musiciens s'essayèrent à quelques riffs avant d'enchaîner sur une composition de Monk, tandis que le pied de l'inspecteur continuait de battre la mesure […] A coup sûr il aurait préféré un jazz d'ambiance, banal comme une musique de variété, pour s'entretenir avec le vieux. Ce jazz-là était trop généreux pour qu'il ait eu envie de penser à autre chose" (p.51-52) "Les musiciens débutèrent sur une composition de John Coltrane, en contrepoint au bebop qui avait empli la salle peu de temps auparavant" (p.55) "Ses yeux tombèrent sur les photos de Bessie Smith et de Nina Simone" (p.56) "Dès les premières mesures, Coleman reconnut la trompette de Chet Baker. Un blanc qui se débrouillait sacrément bien" (p.59) Scène X non censurée: "Tu sais à quoi elle me fait penser quand elle est dressée comme ça ? -Non. -A la trompette de Gillespie. -Merde, quel compliment!" (p.61) "Coleman jeta un œil sur le nom du musicien: Miles Davis. Il sourit […] Sachant que son ami se refusait à écouter un jazzman qui avait osé critiquer le jeu de Monk" (p.91) "Coleman se versa une dose en repassant dans sa tête les premières mesures de Naima. Version Village Vanguard. New York 1966. Ces lignes au swing sublime qui faisaient penser à un sermon. Renucci lui en avait fait écouter plusieurs versions -toutes de John Coltrane. Il songea à ces nuits entières, quasi religieuses, qu'ils avaient passés ensemble à écouter successivement Parker et Coltrane" (p.177) "Le phono était allumé et passait un disque de Bud Powell en sourdine" (p.179) "Du jour où tu m'as amené dans cette boîte de jazz pour me faire voir et écouter Thelonious Monk. Himself. En 64, si je ne me trompe" (p.181) "Il avait découvert le jazz à l'âge de douze ans et lui en avait fait profiter aussitôt. Saxo-trompette. Une belle paire. La musique les avait liés […] Il aimait Clifford Brown, la nuit et les baltringues" (p.192).
Aussi cités: Joséphine Baker, Bob Dylan, Juliette Gréco.

#0051 Jean PEROL


Jean Pérol est né en 1932. Il est l'auteur de plusieurs recueils de poèmes. Il a vécu de nombreuses années à Tokyo ainsi qu'à la Nouvelle Orleans.
PEROL Jean, La Nouvelle Orleans, 1992, Champ Vallon, Des Villes
Notes: "Par conséquent, comment s'étonner de cette plainte qui lentement a pris naissance et s'est rythmée, et devint chant, musique, pour flotter sur cet écart, sur tout l'injuste du malheur. Musique qui ne pouvait naître qu'ici, puisque métisse de tous les souffles. Et comme ces grands et hauts vols d'oiseaux qui s'élancent et s'élèvent des cyprières hérissées de leurs pieux noirs, le jazz, le Razzy dazzy jazzy spasm, accueilli à son début dans les seules maisons closes, a franchi la clôture, s'est élevé et s'est donné aux hommes" (p.17) "Oui, dans New Orleans, ses orages du soir, ses fleurs multipliées, son jazz s'exitant juste au cœur de la nuit" (p.37) "Des bribes, des bulles de musique de jazz, portées de temps en temps par le vent, parvenaient du Vieux Carré jusqu'à nous" (p.38) "Chaque année pour le Festival de Jazz et le Mardi Gras de New Orleans, se produit un groupe de jazzmen noirs, emplumés des pieds à la tête en jaune éclatant, rouge, noir, vert et autres couleurs tout aussi hardies […] Ils chantent en chorus d'étranges paroles de refrain, données ainsi par des revues de jazz du French Quarter et de la communauté noire: Two way Park E way ! / Two way Park E way !" (p.56-57) "Et puisque le jazz est sorti de son cocon à Congo Square et Storyville" (p.64) "Ce qui explique aujourd'hui encore ces tenues baroques, ces ombrelles à breloques, ces boas de plumes, qu'arborent les groupes de noirs pour les parades de jazz, que ce soit au Festival de Jazz ou dans les rues du French Quarter" (p.93) "Jelly Roll Morton, le pianiste de jazz, et qui débuta à Storyville, disait qu'il devait la trajectoire de sa carrière aux séances auxquelles l'avait fait participer sa marraine, prêtresse vaudou" (p.95) "Elle se souvient tout à coup que son seul réel plaisir et sa seule vraie paix étaient d'écouter les blues joués par les musiciens noirs de Storyville" (p.100) "Il eut un enfant qu'il prénomma Sidney. Qui sera le Sidney des années cinquante de ma jeunesse aux premières nuits nuits de la pinède de Juan-les-Pins […] Lui dont la clarinette devint célèbre par ses duos avec le Prof Tony Jackson, pianiste génial des grands bordels de Storyville. Sidney, lui qui disait représenter le savoir des mulâtres mûri par le chagrin des noirs, finalement très proche et plus court chemin pour remonter à Basin street et Congo Square […] Quand Sidney vint jouer à Juan-les-Pins, j'en avais vingt, sur la selle de ma moto. Quand j'ai écouté Louis Armstrong pour son dernier concert live au japon, j'en avais trente, dans un monde qui changeait" (p.105-106).
Chapitre Jazz me, daddy: "La vieille porte de Preservation Hall. Tarif modeste, entrée modeste, et la salle l'est encore plus […] Ici, bat un peu, encore, la mémoire du vieux et simple jazz, de celui qui fit naître, et que firent naître, les Armstrong, Bechet, Kid Ory, celui des gros cœurs, la source mère irrigante […] Quand, quelques années plus tard, il enregistre en 1927 son mémorable solo de trompette dans Savoy's blues avec Loly Johnson à la guitare, et Kid Ory au trombone dans ses glissandos New Orleans, Louis n'a plus qu'a mener le jazz sur les chemins de la gloire, et de la plus grande des fraternités […] The Razzy Dazzy Jazzy Spasm Band. ça commençait à swinguer fort. Le mot jazz était parti pour sa trajectoire étonnante et entrait dans l'histoire de la musique […] Mais il est certain que cette musique qui fit battre un peu plus vite le cœur des jazzbelles de Basin Street, a fait bouger le monde entier d'une maniètre peu ordinaire" (p.107-114).

Robert CRUMB


Un dessin du grand Robert Crumb dans lequel certains d'entre nous pourraient se reconnaitre... ou reconnaitre un ami !!!

#0050 Colum McCANN


Ce roman parle de New York, d'amour, de mariages mixtes, de terrassiers qui creusent des tunnels, de batisseurs de gratte-ciel qui dansent sur les poutrelles à des dizaines de mètres au dessus de la ville. C'est peut-être le premier vrai roman consacré aux sans-abri, à ceux qui vivent au dessous et à l'écart de la cité prospère. On sent que McCann a fréquenté ces lieux.
McCANN Colum, Les saisons de la nuit (The side of brightness), 1998, Belfond 10-18 / 1998, Trad. Marie Claude Peugeot

Notes: "Régime de silence et de coups de pelle que seul rompt très occasionnellement le gospel de Walker: Seigneur, j'ai pas vu un coucher de soleil / Depuis que j'suis descendu là / Non, j'ai rien vu qui ressemble à un coucher de soleil / depuis que j'suis descendu là" (p.19) "il écoute à la radio la musique qui se présente, se donnant rarement la peine de tourner le bouton à moins qu'il ne soit sûr d'entendre du jazz" (p.67) "Une musique de jazz éclate autour de lui et il se met à danser tout seul comme un fou dans son logement" (p.68) "Eleanor aime bien arriver un peu en retard pour se laisser porter par le grand flot de gospels qui l'accueille quand elle ouvre la porte" (p.115) "L'aiguille du phono broute sur un vieux disque de jazz: Louis Armstrong. Ah! ce tempo. Ce rythme fabuleux! Ces retombées syncopées" (p.148) "Il a horreur d'entendre le grand Daniel Louis Armstrong arrêté dans son élan" (p.150) "Maxine a chanté une chanson de Mary Lou Williams. Un soir on est allé au Métropole et on a entendu Henry Red Allen souffler dans sa trompette en costume et en cravate. Pom, pom ! Il est vraiment rigolo" (p162) "Ici les stations de radio sont pas terribles -on entend à peu près que Nat King Cole. Mais j'écoute le vieux Rex" (p.164) "Une chanteuse de jazz lui lance un regard provocant du haut de son estrade et passe sa langue rose sur ses lèvres d'un air lubrique" (p.195) "La voix de Louis Armstrong jaillit du tourne-disques et berce tendrement son supplice" (p.197) "Et il s'est mis à chanter ce blues qui va pas du tout avec le violon: Seigneur, j'suis tellement au fond du trou, quand je lève les yeux, il me semble que j'vois que le fond" (p.282).
Aussi cités: Bill Broonzy, Jimi Hendrix, James Brown.

#0049 Simone de BEAUVOIR


Journal de voyage de 4 mois en Amérique en 1947 avec une approche très naïve (pour rester poli). Un peu de musique, de politique, de tourisme et beaucoup d'énormes énormités.
BEAUVOIR Simone de, L'Amérique au jour le jour, 1948, Paul Morihien / ReEd. Gallimard & Folio N°2943
Notes; "Ils (les noirs) dansent comme il leur est naturel de danser, il faut une parfaite détente intérieure pour se laisser si totalement posséder par la musique et le rythme du jazz […] J'écoute le jazz, je regarde la danse […] Le Savoy est le plus grand dancing de New York, c'est à dire du monde […] Et ce jazz est peut être le meilleur du monde […] Quand j'entendais du jazz à Paris, quand je voyais danser des noirs, l'instant ne se suffisait jamais tout à fait à lui-même, il m'annonçait autre chose, une réalité plus achevée dont il n'était qu'un incertain reflet" (p.42-43) "Nous avons été d'abord 52° rue chez Billie Holiday. Un public clairsemé écoute un orchestre sans éclat en attendant que Billie chante […] On raconte qu'elle se drogue et qu'elle ne chante plus que rarement […] Il paraît que l'an dernier le jazz était de première qualité" (p.48) "J'écoutais à Paris l'orchestre de Don Redman […] Carnegie Hall […] Armstrong apparaît au milieu des applaudissements frénétiques […] Mais Armstrong se fait vieux. A présent il ne joue plus guère que dans des buts commerciaux avec un de ces orchestres trop vastes où l'intimité et la vérité du jazz se perdent […] Et le public accueille avec autant d'enthousiasme cette musique pour diners dansants que le jazz authentique" (p.55-56) "Le blanc ne joue pas assez hot et le noir lui met la main sur le bras en roulant des yeux suppliants: plus vite !" (p.195) "New Orleans […] mais ce que nous désirons c'est entendre du vrai jazz joué par des noirs; ou n'y en a-t-il plus en Amérique ? […] Tout de suite nous sommes prises, cette musique ne ressemble en rien à celle de Café Society, ni même à celle de Harlem, les trois noirs jouent avec passion, pour eux mêmes […] ils nous font penser au jeune homme à la trompette de Dorothy Baker, ils sont sans doute de ces jeunes gens qui étouffent dans la civilisation américaine et pour qui la musique noire est une porte d'évasion" (p.218-220) "C'est ici, dans ces boites modestes, chez ces musiciens inconnus, que le jazz, plus qu'a Carnegie Hall ou même au Savoy, atteint une vraie dignité" (p.223) "Nous écoutons du vieux jazz, des Louis Armstrong de la grande époque, des airs de Bessie Smith, la chanteuse noire qui mourut des suites d'un accident d'automobile parce qu'on refusa de l'admettre dans un hopital blanc" (p.256) "Nous emmène entendre sur la 52° rue le trompette Sydney Bechet (sic ! c'est pas tombé loin !). C'est un des derniers musiciens qui joue dans le pur style de la Nouvelle Orleans; il a été célébre en Amérique, il a joué aussi en France à Paris, il a tué un autre musicien noir au cours d'une rixe; il a fait une année de prison au cours de laquelle ses cheveux sont devenus tout blancs, c'est aujourd'hui un vieil homme au visage raviné […] Mais Bechet ne pouvait rêver un public plus digne de son génie que la femme au visage noir, au tablier blanc qui apparaît de temps à autre par une petite porte derrière l'estrade. C'est sans doute la cuisinière […] en la regardant on comprend mieux encore la grandeur du jazz qu'en entendant Bechet même […] Mais ce qu'on lui sert ce n'est jamais du jazz, c'est du Sinatra ou du Bing Crosby, ce sont ces mélodies sucrées qu'on appelle sweet music et qui sont aussi douceâtres que les sweet potatoes […] ceux mêmes qui prétendent aimer le vrai jazz le dénaturent; et comme les noirs ne gagnent leur vie que par la clientèle des blancs, ils se font nécessairement complices de cette perversion. Quand on compare Bechet, ou les petits orchestres de New Orleans, ou les vieux disques d'Armstrong et Bessie Smith avec le jazz qui est en vogue aujourd'hui, on se rend compte que les Américains ont peu à peu vidé cette musique brûlante de tout son contenu humain et sensible […] Ce qui plait aux Américains dans le jazz, c'est que le jazz manifeste l'instant; mais comme pour eux l'instant est abstrait, c'est aussi une manifestation abstraite qu'ils réclament, ils veulent du bruit, des rythmes, rien de plus, il se peut que bruits et rythmes soient orchestrés avec art, avec science, de manière qu'indéfiniment le présent renaisse de sa mort, mais le sens du vieux jazz est perdu. A. E. me dit que la forme la plus récente du jazz, le be-bop, manifeste encore plus clairement cette divergence" (p.257-260) "Possèdent un magnifique pick-up et une immense collection de disques où le vieux jazz prédomine comme chez tous les intellectuels que je connais (p.263) "A minuit, je retourne entendre avec N. le trompette Sidney Bechet (sic, c'est le même !). Un de ses jeunes admirateurs blancs joue du saxophone à ces côtés" (p.272) "Même Josh White, quand je l'entends de nouveau au Café Society, je me rends compte que son audace est tempérée par un tact sur, il se maintient soigneusement sur le terrain où un public libéral peut risquer de s'aventurer; comment ferait-il autrement, il a une femme et trois enfants, il faut qu'il plaise, s'il mettait son vrai cœur à nu il n'aurait plus qu'a aller cirer les souliers au coin des rues" (p. 308) "parmi les musiciens blancs qui ont su s'assimiler (sic !) la musique noire, beaucoup sont Juifs. Ce n'est pas un hasard si Mezzrow qui vécut à Harlem après avoir épousé une femme noire, et qui ne voulait fréquenter que des noirs était Juif (sic ! Mezzrow était Juif ? Je croyais qu'il était clarinettiste !)" (p.314) "l'orchestre joue ce jazz nouveau: le be-bop. Les blancs s'empressent de défigurer ce que les noirs inventent, et les noirs reprennent docilement à leur compte ces déformations. Les musiciens jouent ici un jazz qui, au lieu de s'inscrire dans la tradition de New Orleans comme le be-bop originel, n'est que l'expression haletante, exaspérée de la fièvre New Yorkaise […] si bien que ces nigger-lovers, comme les appelleraient les gens du Sud, sont pour la plupart des aigris, des malades, des individus névrotiques, des faibles rongés de complexe d'infériorité. Que Mezzrow aille vivre à Harlem et préfère systématiquement les noirs aux blancs relève de cette attitude. Richard Wright la trouve néfaste" (p.340-341) (sic ! je fatigue, je vais me taper un petit noir ! Simone m'a tuer !).

#0048 Michel BOUJUT


Polar dont le personnage principal n'est autre que Louis Armstrong, poursuivi jusqu'à Paris, par des tueurs de la mafia New-Yorkaise alors qu'il coule des jours tranquilles à Bougival avec sa smala, dans une villa mise à sa disposition par la pétulante Bricktop, reine des nuits de Pigalle. C'est sur le rythme syncopé de la trompette d'Armstrong, que nous entraîne ce récit picaresque dont les figurants s'appellent, entre autres, Joséphine Baker, Robert Desnos, Al Brown, Henry Miller, Howard Hughes, Hugues Panassié et le jeune Boris Vian...
BOUJUT Michel, Souffler n'est pas jouer, 2000, Rivages N°140

Notes: "Sur l'estrade en acajou de chez Bricktop, le cabaret chic de la rue Pigalle, le quintette à cordes joue une romance au swing léger. Grappelli, le violoniste, et Django, le manouche, à la guitare […] Il y a quelque chose de volatile et de mélancolique dans leurs improvisations à patte d'oiseau. Assis à une table, devant l'estrade, Jean Cocteau, très entouré, dessine de fines arabesques de ses blanches mains d'artiste, en suivant la musique […] Ada Smith, dite Bricktop, à cause de ses cheveux teints en roux, la maîtresse de céans, veille à la bonne ordonnance de la soirée […] Elle navigue de table en table, un boa bleu ciel sur ses épaules nues, souriante et vive. Une lumière douce tombe des plafonniers sur le décor rouge et or" (p.17). Etc.

#0047 Jean COCTEAU


COCTEAU Jean, Mon premier voyage (Tour du monde en 80 jours), 1936, Gallimard
Notes: "Harlem c'est la chaudière de la machine et sa jeunesse noire qui trépigne, le charbon qui l'alimente et qui imprime le mouvement […] New York éprise de cathédrales, d'orgues, de cierges, de gargouilles, de burlesques, de ménestrels, de mysticisme et de mystères, est secouée par le rythme noir" (p.215) "Le Lindy Hop, qui règne depuis cinq ans, est une gavotte nègre. Il se danse au Savoy, le dancing noir de Harlem. Une longue salle basse entourée d'une balustrade. Au milieu, la piste et l'orchestre. Autour, un promenoir, des loges et des tables où les spectateurs et les danseurs consomment des boissons naïves […] Soudain l'orchestre ressuscite, les morts qui dansent s'éveillent de l'hypnose et le Lindy Hop les secoue. Sur quelle herbe ont-ils marché ? Sur la marihuana, l'herbe qui se fume et qui grise. Ces grosses négresses en cheveux et ces petites filles dont la poitrine se cabre et dont pointe la croupe, le chapeau placé comme une gifle, deviennent un lasso que les noirs déroulent et enroulent à bout de bras […] au bar Onyx […] le Swing a remplacé le Jazz. C'est le terme nouveau qui désigne un band noir dont la musique tourne et vous boxe l'âme. Au bout de cette petite cave étroite se démènent, sur une estrade, les cinq nègres de l'orchestre le plus pur […] Même un Armstrong qu'on croyait de diamant s'est laissé corrompre. Le rêve de ces Ford construites avec des ficelles et des boîtes de conserve est de devenir Rolls Royce et l'orchestre symphonique qui monte des profondeurs, les smokings blancs, les saxophones de nickel éclaboussés de lumière, seront la perte de ces vieux tambours, de ces vieilles trompettes et de ces vieux chapeaux. Le drummer est un nègre d'origine indienne. Il roule son tonnerre et jette ses foudres, l'œil au ciel. Un couteau d'ivoire miroite entre ses lèvres. Près de lui les jeunes loustics d'une noce de campagne se disputent le microphone, s'arrachent de la bouche des lambeaux de musique saignante et s'excitent jusqu'à devenir fous et à rendre folle la clientèle qui encombre les tables. Lorsque le swing s'arrête, un roulement de caisse accompagne les acclamations et les saluts des choristes […] Après une stupeur de catastrophe, le Swing empoigne le Boléro de Ravel, le déchire, le malaxe, le scalpe, l'écorche vif, entortille autour de son baton monotone les pampres écarlates d'un tyrse-vaudou" (p.217-219).

#0046 Frank CONROY


A New York, dans les années quarante, un enfant regarde, à travers les barreaux du soupirail du sous-sol ou il est enfermé, les chaussures des passants sur le trottoir. Pauvre, sans aucune autre protection que celle d'une mère excentrique, Claude Rawlings semble destiné à demeurer spectateur d'un monde inaccessible. Dans la chambre du fond, enseveli sous une montagne de vieux papiers, il découvre un petit piano blanc désaccordé. En déchiffrant les secrets de son clavier, Claude, comme par magie, va se découvrir lui-même. Il est musicien. Ce livre est l'histoire d'un homme dont la vie est transfigurée par la découverte d'un don.
CONROY Frank, Corps et âme (Body and soul), 1993, Gallimard Du Monde Entier 1996, Trad. Nadia Akrouf

Notes: " Ceci est la partition de Honeysuckle Rose, un morceau de Fats Waller […] Il se mit à jouer la mélodie, des deux mains, à un rythme modéré, ses doigts se mouvant apparemment sans effort sur le clavier. When I'm taking sips, chanta-t-il d'une voix éraillée, From your tasty lips" (p.28-29) "Claude […] travaillait The choo-choo boogie, l'un des nombreux airs de blues et de boogie qu'il avait trouvés dans la banquette […] Le rythme était aussi puissant et implacable que la locomotive qui illustrait la première page de la partition" (p.65) "Claude joua un boogie-woogie, s'y donnant à fond, faisant de l'épate. -Eh ! où qu't'as appris à jouer c'truc, mec ? C'est du Meade Lux Lewis !" (p.81) "jouer, laissant échapper un grommellement étouffé du fond de sa gorge, mâchonnant sa lèvre inférieure comme un homme dans la souffrance. Il joua sans interruption des strides et des boogies pendant plus d'une heure, les mains martelant, les bras pompant, la tête et le torse immobiles […] Ce fut une tempête de notes et Claude, fasciné, regarda les bras de l'homme se croiser et se décroiser, se déplacer ensemble et séparément, et ses doigts, fonctionnant à une vitesse incroyable, arracher des thèmes limpides à une lame de fond presque irrésistible de musique" (p.83) "J'aime aussi le boogie-woogie. -Ah ouais ? Ben, c'est du blues. Et le blues, mon vieux, tout part de là […] Tu connais les Bird's changes du blues ? […] Les changements pour le be-bop […] N'oublie pas d'écouter Art Tatum. Il va vite, vite, vite, et il swingue. Des mains comme des serpents, tu vois ? Elles s'ouvrent grand comme ça, comme un serpent qui écarquille la gueule, tu sais, large, encore plus large, tellement large que c'est impossible […] Va chez Minton et écoute" (p.138-139) "C'est juste cette phrase, qui se répète, sauf qu'ici c'est un mi, et là un mi bémol. Il joua rapidement les douze mesures. Tu vois ? Ça s'appelle Blues in the closet […] C'est la façon de noter le jazz. Ils n'écrivent pas tout […] Un musicien de jazz que j'ai rencontré un jour me les a donnés. Ils ont été inventés par un saxophoniste nommé Charlie Parker […] Le plus étonnant, c'est que ça marche avec toutes les lignes de blues […] Il joua les accords de Parker sur une mélodie de blues non répétitive appelée The swinging shepard blues, puis sur une mélodie plutôt difficile, de Parker lui-même […] Au lieu d'attendre sur la tonique pendant quatre mesures avant d'aller à la sous-dominante, il nous trace le chemin. Il nous porte là-bas. Et j'adore le changement du majeur au mineur. Ils appellent ça le be-bop […] C'était censé être sauvage -de la musique sauvage […] Mais en réalité, ça vient tout droit de Bach. Je veux dire, Bach aurait pu facilement écrire les accords du blues […] Parker est incroyablement créatif. Ses trucs sont pleins de contrepoints, de cycles. C'est du baroque, vraiment" (p.173-174) "Le son vif du saxo alto de Parker déchira l'air d'une ligne de blues syncopée […] le pianiste du disque commença à jouer le cycle de quintes fondé sur les changements du be-bop de Parker […] on eût dit que le be-bop était l'accompagnement de la musique sérielle et vice versa" (p.212) "J'ai essayé de jouer du jazz. Improvisé sur un motif d'accords d'un musicien que j'aime bien, Art Tatum […] Rachmaninov a dit un jour qu'il souhaiterait jouer aussi bien que Tatum" (p.232) "Lorsqu'il eut terminé le Gershwin, il se lança sans interruption dans Carolina shout, de James P. Johnson, arrachant les strides de la main gauche à un tempo dangereusement rapide. L'énergie irradiait dans toutes les directions, le piano semblait devenir incandescent […] Il attaqua Ripples of the nile, de Lucky Roberts, un vieux stride à casser la baraque […] il commença à mêler Art Tatum à Fats Waller à Jelly Roll Morton en une avalanche ininterrompue de jazz" (p.325) "joua très doucement la version d'Art Tatum de Tea for two pour se détendre les doigts […] Tatum était un maître […] Où puis-je entendre du jazz ? […] Vous jouez du jazz, au Castle ? J'aimerais venir. -Ce n'est qu'un trio. Chez Ronnie Scott, il y a un véritable orchestre. De bons musiciens" (p.476-477) "Sais-tu ce qui est arrivé à Miles Davis ? […] Il jouait au Birdland et faisait le tour du pâté de maisons pour respirer un peu d'air frais […] un flic lui ordonne de circuler […] le frappe avec son bâton. […] Ce type est si fragile" (p.485) "De l'autre côté de la porte capitonnée leur parvenaient les sonorités d'un trio qui jouait How high the moon. Lorsqu'ils pénétrèrent dans l'obscurité enfumée, Claude nota avec satisfaction que le pianiste utilisait des accords altérés intéressants au lieu des standards habituels […] Les trois hommes jouaient avec une intimité apparemment facile, se passant et se repassant des petites figures et des phrases comme dans un jeu de balle compliquée, sans jamais interrompre la ligne de l'air qu'ils interprétaient. Ellington, Monk, Horace Silver […] Claude était impressionné par la complexité de ses improvisations. Musicien éclectique, il semblait capable de s'inspirer de nombreux pianistes de jazz célèbres. Il pouvait faire le truc d'Erroll Garner -la main gauche comme un métronome, la main droite se décalant en arrière ou en avant du temps- sans faire de l'Erroll Garner. Il pouvait jouer à la façon percutante de Horace Silver puis, utilisant peut-être un bridge, planer sur les barres de mesures à la Bill Evans" (p.488-489) "Le jazz est tout sauf une musique primitive" (p.490) "J'ai entendu Coltrane et Elvin Jones" (p.491) "Zoot Sims vient chez Ronnie" (p.492) "La musique reprit […] I'll remember april. Green dolphin street. Slow boat to China […] Honeysuckle rose ? -Honey suck my nose ! […] Claude attendit un chorus entier pour s'imprégner des accords […] Ils improvisèrent en alternant les chorus sur des lignes de be-bop qui semblaient rouler sur des croches, chacun des deux hommes reprenant la suite de la structure élaborée par l'autre […] Reggie et le Comte accentuèrent le rythme par de subtiles explosions syncopées […] Les deux hommes, au piano, rivalisaient de virtuosité, swinguaient de plus en plus fort. Ils défonçaient la mélodie" (p.493-494).

#0045 Truman CAPOTE


Les héros sont une troupe de chanteurs noirs allant de Berlin à Leningrad pour y jouer Porgy and Bess de Gershwin. Capote a suivi la tournée comme correspondant du New Yorker. Il a écrit son reportage en notant les moindres incidents, les paroles les plus insignifiantes et aussi les plus révélatrices des membres de la troupe ou des officiels russes qui la recevaient. Il a reproduit minutieusement les quelques aspects de la vie soviètique qu'il a pu observer. C'était en 1958...
CAPOTE Truman, Les muses parlent (The muses are heard), ????, Gallimard 1959, Trad. Jean Dutour

Notes: "Les Russes connaissent la musique de Gershwin, dit-il. Un de mes amis russes m'a même dit qu'a une soirée ou il se trouvait, trois invités avaient chanté Bess, you is my woman de bout en bout" (p.18) "En 1952, lorsque Breen et son associé, Blevins Davis, avaient repris l'opéra de Gershwin, le rôle de Porgy était tenu par William Warfield, celui de Bess par Leontyne Price et celui de Sportin' Life par Cab Calloway" (p.43) "Tous les soirs, de huit heures à minuit, un orchestre de jazz dispense ses mélodies au Tout-Leningrad, qui danse rarement, et considère d'un air morose les bulles qui se forment dans les verres de champagne sirupeux de Georgie" (p.124) "Sa voix s'enfla et il finit par beugler en russe quelque chose qui rappelait vaguement la mélodie de Saint Louis blues" (p.174) "Les musiciens de l'hotel ne firent aucune objection. Ils étaient tous des fanas du jazz américain, l'un d'eux, même, grand admirateur de Dizzy Gillespie, avait édifié une considérable discothèque en enregistrant des émissions étrangères sur de vieilles plaques de radiographie (sic !)" (p.200) "L'orchestre donnait une version très intimiste de Somebody loves me, et les danseurs écoutaient avec des visages extasiés, transfigurés, la voix rauque de Lamar qui chantait: Who can it be oh may-de ba-by may-be it's you ! Mme Nervitzky dansait bien, mais elle était toute contractée, et ses mains étaient de glace. -J'adore la musique des nègres (en français dans le texte). C'est si pervers, si malsain !" (p.205-206) "Le pasteur, un vieux monsieur gentil, nous a demandé si on voulait chanter un spiritual" (p.209) "Nous ne sommes pas habitués à des danses aussi réalistes, ni au jazz joué par un orchestre symphonique" (p.251).

#0044 Nat HENTOFF


Une faune de toxicos et de trafiquants, de putes et de macs, de voleurs et d'assasins... et de flics. En cas de pépin, motus et bouche cousue, ce qui fait que le malheureux Noah Green a bien du mal à enquêter sur les demi cadavres retrouvés dans des poubelles...
HENTOFF Nat, La police des polices (The man from internal affairs), 1985, Série Noire 1986, Trad. M. Watkins
Notes: "Vous n'avez jamais entendu ce disque de Fats Waller, En douceur ?" (p.13) "J'entends d'ici Stevie Wonder avec une clarinette, une trompette bouchée et des cordes" (p.15) "Comme Billy Eckstine. Lisse, vraiment lisse, marqué par rien" (p.16) "Par exemple: quel pianiste d'avant garde aujourd'hui célébre a travaillé dans la petite formation de Johnny Hodges lorsque le Lapin a quitté le Duke ? Cecil Taylor !" (p.29) "Le juke box bourdonnait tout bas au rythme délicatement érotique du Misty d'Erroll Garner" (p.107) "En lisant Down Beat, secoua tristement la tête. Presque tous les géants ont disparu […] Qui soit seulement digne de porter l'instrument de Coleman Hawkins. Ou de lester Young. Ou de Coltrane. Personne. Une bande de minables qui ont étudié la composition à Yale ou autre part. Mais les géants ! Qui est-ce qui était qualifié pour leur accorder des diplomes à eux ?" (p.124) "J'ai dégotté un Billie Holiday que je n'avais pas" (p.146) "Si je ne laisses pas de mot, tout est à toi. Sauf les disques de Billie Holiday. Ils sont pour le bébé" (p.189) "Je n'aurais pas trouvé un Billie Holiday de Storyville. George Wein's Club à Boston ?" (p.221) "J'avais mes cassettes. Billie, Prez, les Big Ben, tu sais. Et la radio donnait de l'assez bonne country. Il doit y avoir du noir dans ce Merle Haggard […] Tout était aussi frais, aussi savoureux qu'un solo d'alto de Benny Carter" (p.277-278).
Pas musical, mais sage: " Quand on dépense de l'argent pour bouffer, qu'est-ce qui reste ? Mais si on achéte un livre où un disque".
Voir aussi du même auteur #0008 "Le diable et son jazz" en cliquant ICI