#0001 - Robert BOBER


Berg a vingt ans. Beck en a onze. Un jour pourtant ils avaient le même âge. Ils habitaient la même rue, allaient dans la même école. Le matin du 8 juin 1942, ils se sont attendus pour y arriver ensemble. Une étoile jaune était cousue sur le côté gauche de leur poitrine. Quelques semaines plus tard, Beck fut arrêté avec ses parents. Parce qu'on ne parla plus de lui, Beck ne manqua à personne. En 1952, Berg devient éducateur dans une maison d'enfants de déportés "avec la tâche insurmontable de leur apporter une consolation" et où pourtant parce qu'il y a le jazz et les Marx Brothers, la bicyclette et les cerfs-volants, il y aura aussi des instants de joie, des moments de vie volés.
BOBER Robert, Berg et Beck, 1999, POL
Notes: "Mes disques de jazz, j'en avais amené plein à la colonie parce que comme musique, je trouvais qu'il n'y avait rien de mieux. Dès la première semaine, j'avais organisé pour les plus grands une veillée avec audition de disques […] Qui a déjà écouté du jazz ? […] Quel est votre musicien de jazz préféré ? […] dont je préfère ne pas dire le nom m'a répondu Paul Robeson […] je ne voyais pas comment j'allais rentrer dans la discussion sans perdre la bonne humeur indispensable pour transmettre le virus du jazz. D'abord, Paul Robeson, c'est pas du jazz. -Et Old man river, alors ? […] Justement, Old man river c'est pas du jazz. Déjà parce que le jazz, lorsque c'est chanté, ne peut se chanter qu'en anglais. Et en plus Paul Robeson chante comme un Blanc (sic !) […] des musiciens de jazz blanc, il y en a. Je ne parle pas d'Aimé Barelli, tout ça. Ca c'est du jazz commercial. Non, les musiciens de jazz blancs, lorsqu'ils sont bons, essayent d'abord de jouer comme les Noirs et parfois ils vont même jusqu'à partager leur vie, même si leur vie n'a rien a voir avec celle des Noirs parce que, pour un Blanc, aux Etats Unis, à cause du racisme, les problèmes ne seront jamais les mêmes que pour les Noirs (sic !) […] j'en ai profité pour parler de Bessie Smith […] puis j'ai cité trois vers de Young woman blues: Nobody knows my name, nobody knows what I've done / I'm as good as any woman in your town / I ain't no high yeller, I'm a beginner brown […] j'avais conscience que pour la première fois certainement, en écoutant Jelly Roll Morton, King Oliver, Louis Armstrong, Sidney Bechet, Fats Waller et Duke Ellington, ces enfants, du moins certains d'entre eux, avaient entendu et peut être compris que le jazz était bien la musique la plus vivante, la plus inventive, la plus généreuse du XXème siècle […] C'est un disque de Jelly Roll Morton […] Ca s'appelle Oh didn't he ramble […] Je ne connaissais pas le nom de tous les musiciens qui composaient le Jelly Roll Morton's New Orleans Jazzmen, mais je savais que Zutty Singleton était à la batterie et Sidney de Paris à la trompette. Au saxo soprano Sidney Bechet était immédiatement reconnaissable. Je reconnaissais aussi presque immanquablement Albert Nicolas, un de mes clarinettistes préféré […] Je voulais seulement qu'elle suive le récit de Oh didn't he ramble.Après les clameurs, il y avait un roulement de tambour de Zutty Singleton immédiatement suivi d'un appel de trompette à la suite de quoi […] un roulement de tambour décroissant et une voix: He ramble, he ramble, he ramble […] J'ai remercié Jelly Roll Morton, et j'ai rangé le disque […] il y avait un disque de Fats Waller: Two sleepy people […] j'ai choisi The joint is jumping […] Une fois de plus j'ai pensé que Fats Waller était vraiment le musicien à emmener sur une ile déserte […] Après les coups de sifflet de la police et les sirènes de la fin, il y avait un conseil: Don't give your right name, no, no ! Il avait tout compris Thomas "Fats" Waller. Surtout ne donnez pas votre véritable nom !" (p.44-55) "un vieux Jelly Roll Morton de 1928, enregistré chez Gramophone sous le nom de Jelly Roll Morton's Red Hot Peppers. Une formation différente de celle qui avait enregistré Oh didn't he ramble. Sur une des faces Kansas city stomp. D'entrée la clarinette puis la trompette, puis le trombone et enfin le tuba" (p.134) "C'était un livre de photographies sur les musiciens de jazz ou, si l'on préfère, une histoire du jazz par la photographie […] Pas Buddy Bolden dont la photographie ouvrait le volume. Buddy Bolden n'avait jamais enregistré de disques, et c'est surtout grâce à Jelly Roll Morton, qui avait en 1939 chanté et joué I thought I heard Buddy Bolden say, que l'on connaissait son existence […] le King Oliver Creole Jazz Band, Le Jimmy Noone's Apex Club Orchestra, Bunk Johnson et l'Original Superior Orchestra ou encore l'Original Creole Orchestra de Freddie Keppard. Freddie Keppard qui refusait d'être enregistré de crainte d'être copié par d'autres cornettistes" (p.211-212) "Quelqu'un avait offert La rage de vivre de Milton "Mezz" Mezzrow. C'est dans ce livre que j'avais appris comment Bessie Smith était morte […] C'était le pianiste de jazz Eddie Bernard […] il fit remarquer qu'au moment de la crise de 29, Tommy Ladnier et Sidney Bechet, un moment reconvertis, avaient ouvert une boutique ou l'on réparait les vêtements: la Southern Tailor Shop. Avec un sens très sur de la situation, Eddie Bernard joua alors Tea for two […] il enchaina Ain't misbehaving, The minor drag, Handful of keys et Honeysuckle rose […] C'est en la regardant qu'Eddie Bernard attaqua avec toute l'ironie nécessaire I'm crazy 'bout you my baby […] termina avec l'epoustouflant Tiger Rag" (p.218-222).
Aussi cités: Django Reinhardt, Gus Viseur, Médard Ferrero, Tony Murena, Jo Privat.

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